Il est heureux que nous soyons ici. Ici dans ce temple, physiquement, ou ici par les moyens vidéo. Il est heureux que nous soyons ici, ensemble, dans la prière. Nous sommes sortis de chez nous, nous avons quitté la demeure de notre quotidien, du moins avec le cœur, pour nous retrouver ensemble dans une autre demeure, une demeure commune, celle de la prière. Dans notre assemblée, il y a plus que des gens de confessions différentes aux histoires différentes. Il y a plus que des gens qui se réclameraient de Paul ou d’Appollos ou de Céphas (1 Co 10,12). Il n’y a que des gens qui se réclament du Christ, de Jésus Christ, et qui veulent faire en lui leur demeure. On entend souvent cette partie du verset de l’évangile selon saint Jean dans lequel Jésus veut faire sa demeure en nous. Chacun est alors invité à faire de la place au Seigneur, à lui ouvrir la porte de notre intériorité. « Viens, Seigneur, ne tarde pas ! » Ici c’est l’inverse qui se produit : c’est lui qui nous accueille en lui. Nous avons accepté de vivre un déplacement, un changement d’adresse. Jésus nous a invité à quitter notre chez nous, à déménager, pour demeurer en son amour. « Mon désir est d’être trouvé en lui », écrivait Paul aux Philippiens (Ph 3,9).
Se retrouver à plusieurs dans une même demeure pourrait ressembler à de la cohabitation ou à une forme de collocation. Mais nous ne sommes pas « colocs ». Habiter ensemble la même demeure qu’est le Christ, c’est devenir frères et sœurs et nous nourrir d’une même sève, d’un même Souffle, d’un même désir, d’un même élan, d’une même joie. Ce n’est pas partager le superflue « à la petite semaine », mais vivre ensemble des mêmes racines pour porter ensemble un même fruit. Demeurer dans l’amour du Christ, n’est-ce pas demeurer dans l’amour de Jésus pour son Père et pour le monde ? Demeurer en Jésus, c’est faire nôtre l’humanité de Jésus, une humanité qui révèle la grandeur de Dieu, transmet sa Parole et son Souffle, et dévoile la beauté de tout homme. C’est embrasser d’une même geste le monde et Dieu, ce monde que Dieu aime, ce Dieu que le monde cherche.
Et cette demeure commune dans l’amour du Fils ne reste pas stérile. « Demeurez dans mon amour et vous porterez du fruit en abondance » (Jn 15). Demeurer dans l’amour du Christ, pour porter du fruit. « Car nous ne pouvons pas porter de fruits par nous-mêmes. Nous ne pouvons pas porter de fruits si nous sommes séparés de la vigne. C’est la sève, la vie de Jésus coulant en nous, qui donne du fruit. Demeurer dans l’amour de Jésus, demeurer un sarment de la vigne est ce qui permet à sa vie de couler en nous » (Cf communauté de Grandchamp). Un fruit, c’est visible, palpable, goûteux, savoureux. Un fruit apporte de l’énergie, de la fraîcheur et de la douceur à celui qui le mange. De cette demeure commune, peuvent naître trois fruits qui grandissent en nous et pour le monde.
Le premier fruit est le fruit de la communion, et avec elle, de la paix. C’est le sens de notre prière aujourd’hui, et de notre désir le plus intime chaque jour de nos vies. Demeurer dans l’amour fait naître en nous et entre nous la communion, l’unité, la réconciliation. L’amour de Dieu est pardon qui guérit les blessures intérieures de nos histoires personnelles, de nos communautés, de nos paroisses, de nos églises et entre nos églises. « Tu as enlevé la faute de ton peuple, tu as couvert tout son péché », chantait le psalmiste (Ps 85, 2). L’amour pardonnant de Dieu nous rapproche les uns les autres, construisant l’unité entre nous, en même temps qu’il unifie nos vies en les ajustant à sa grâce. Et cette communion ouvre nos cœurs à la paix. A la paix profonde, celle qui n’est pas inquiétée par les troubles de surface. Celle qui ne se laisse pas étourdir par le brouhaha du monde, les rumeurs ou les peurs. La demeure du Seigneur est une demeure sûre, paisible, joyeuse, le lieu de la confiance. Combien notre monde a-t-il besoin d’hommes et de femmes habités profondément par ce désir de communion, lumineux de cette paix du cœur, enracinés dans la confiance ! « J’écoute ce que dit le Seigneur ; il dit : « Paix », pour son peuple et pour ses fidèles » (Ps 85, 8) Et la parole du Seigneur atteint sa mission, réalise ce qu’elle dit pour peu que nous soyons enracinés en elle. Pour peu que nous demeurions en elle, nous voici en communion et en paix les uns avec les autres.
De cette demeure commune dans l’amour, naît le deuxième fruit, celui du témoignage. « A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », annonçait Jésus dans le verset de l’Evangile (Jn 13, 34-35). Point d’autre stratégie, de programme missionnaire, d’argumentation, qu’un style de vie, qu’un art de vivre, que cette demeure dans l’amour les uns des autres et dans l’amour du Christ. Nous savons trop que l’inverse est vrai : manque la communion, manque l’amour mutuel, manque le respect, l’accueil et la bienveillance, et la parole s’effondre, le témoignage s’efface, la Bonne Nouvelle disparaît, n’a plus de prise, nous échappe. Dans un monde trop souvent marqué par le non amour, dans nos existences souvent blessées par des amoures tordues, c’est bien la demeure dans l’amour de Dieu qui offre la signature la plus claire, la plus lisible et la plus crédible pour tous ceux qui cherchent et veulent rencontrer Dieu. « Que tous soient un, pour que le monde croie », prie Jésus. De notre unité, dépend la foi dans le monde « Mon désir est d’être trouvé en lui, non pas avec une justice que j’aurais moi-même acquise en obéissant à la Loi mais avec la justice qui vient de la foi en Christ et que Dieu accorde à ceux qui croient », disait saint Paul, continuant : « Non, certes, je ne suis pas encore parvenu au but, je n’ai pas atteint la perfection, mais je continue de courir pour tâcher de saisir le prix » (Ph 3, 12). Ne nous attristons pas de ne pas encore avoir atteint la perfection de l’amour mutuel et de l’unité, au contraire, continuons de marcher ensemble dans cette vaste demeure qu’est l’amour de Dieu, pour en découvrir encore et toujours toutes les dimensions, toutes les richesses, toutes les possibilités, tous les trésors, tout l’avenir, toute l’espérance. Continuons de vouloir habiter ensemble cette unique demeure pour donner le témoignage que le monde attend et auquel il est convié.
Car il ne servirait à rien de trouver l’amour et d’y demeurer pour rester entre nous. L’amour ouvre l’existence, le regard, les oreilles et les mains. Le troisième fruit est celui de la solidarité et de la fraternité, du souci du plus petit et de toute la création – cette création que nous malmenons tant et qui est pourtant notre écrin. La demeure dans l’amour du Christ nous conforme au Christ serviteur. Pas d’amour qui ne se salisse les mains ou ne s’engage totalement. Autrement, ce n’est qu’un amour creux, un amour sans vie, un amour de façade. Vivre ensemble dans la demeure de l’amour nous appelle à donner à manger à celui qui a faim, à boire à celui qui a soif, à soigner le malade, visiter le détenu, accueillir le migrant, écouter le désespéré, lutter pour faire respecter la dignité de celui qui est bafoué. Le modèle, c’est Jésus prenant la condition de serviteur, et même d’esclave. C’est Jésus prodiguant à chacun le soin dont il a besoin, la parole qui relève et ouvre l’avenir. De la demeure de son amour, jaillit cette fraternité universelle : toute femme, tout homme est pour moi une sœur, un frère. Qu’ai-je fait de ma sœur, de mon frère ? Et notre cœur ne pourra être en repos tant que chacun ne sera pas accueilli avec justice et vivra avec la dignité qui lui est due. La demeure du Christ est une demeure ouverte aux quatre vents du monde, à ses défis et à ses forces, à ses élans et ses pesanteurs, et elle nous convoque là, sur les lignes de fractures, pour devenir des artisans du relèvement de chacun, avec la grâce de l’Esprit. « Fidélité et vérité se sont rencontrées, elles ont embrassé Paix et Justice. La vérité germe de la terre et la Justice se penche du ciel. Le Seigneur lui-même donne le bonheur, et notre terre sa récolte », chantait encore le psaume (Ps 85,10-11).
Communion et paix, témoignage, solidarité et fraternité. Chers amis, nous ne pouvons pas porter de fruits par nous-mêmes et nous n’avons pas choisi nous-mêmes d’habiter cette demeure commune. Ce n’est pas nous qui avons choisi, c’est lui qui nous a choisi et nous a établi, pour que nous portions du fruit, et du fruit qui demeure. Enracinons-nous toujours davantage dans cette demeure d’amour. Que la prière de ce jour et de cette semaine nous encourage à aller toujours plus loin dans le partage de cette demeure, pour que les fruits produits rendent visible notre unité : l’unité entre nos églises, l’unité de notre unique famille humaine, l’unité que Dieu veut vivre avec toute l’humaine, en son Alliance.
Amen.
P. Benoît Lecomte
2 réponses sur « Méditation du Père Benoît Lecomte pour la prière œcuménique en Sud Charente »
[…] Un problème technique a malheureusement coupé le son à partir de la minute 43, mais vous pouvez retrouver ici l’ensemble de la méditation du Père Benoît. […]
[…] Retours sur ce que nous avons vécu :– Retrouvez ici l’homélie du Père Benoît en ce Dimanche de la Parole et à la fin de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens.– Cette semaine a eu lieu la prière oecuménique pour l’unité des chrétiens, au temple de Barbezieux. Retrouvez la vidéo de la prière (un problème technique a fait couper le son à partir de la minute 43, veillez nous en excuser) et la méditation du Père Benoît pour l’occasion. […]