Homélie de la célébration oecuménique du 22 janvier 2022

BarbezieuxHomélies

Publié le 29 janvier 2022

Les chrétiens d’occident fêtent principalement Noël pour célébrer la naissance de Jésus. Les chrétiens d’orient font eux une grande fête de l’Epiphanie. Ce n’est pas tant la naissance qui leur importe, que la reconnaissance d’un Roi qui apporte le salut au monde malgré les apparences. C’est du Moyen-Orient que nous vient toute notre tradition biblique et que se sont formées les premières communautés chrétiennes. Mais c’est aussi une région constamment traversée de guerres, de déplacements de populations, dans l’Antiquité comme aujourd’hui. Carrefour de civilisations qui se croisent, qui se confrontent, qui tentent de vivre ensemble, et qui souvent se déchirent, cet Orient nous offre aujourd’hui ce récit des mages. Récit bien peu historique, probablement inspiré de différentes légendes locales, que Mathieu réécrit, en utilisant des symboles, à l’époque parlant à tous.

Débarrassons-nous d’abord des éléments folkloriques : dans ce récit, vous n’avez pas entendu que ces mages étaient rois. Vous n’avez pas entendu non plus qu’ils étaient trois, et encore moins leurs noms : Gaspard, Melchior et Balthazar, c’est bon pour l’Arlésienne de Bizet !

Dans le Nouveau Testament, le nombre des mages n’est pas mentionné, pas plus que leurs noms, ou que leur provenance précise. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils viennent, ils donnent, et ils partent par une autre route.”

L’utilisation par l’évangéliste Mathieu des caractéristiques des légendes de naissance royale est déjà plus intéressante. Rappelons ces caractéristiques très brièvement :  il s’agit souvent d’un individu dont les parents sont de filiation royale : c’est ici la filiation avec le roi David, rappelée par la généalogie du 1er chapitre de Mathieu.  Pour faire que Jésus soit roi, il est naturel d’utiliser les ressources littéraires de légendes de nativités royales : elles disent presque toujours que l’enfant est l’objet d’une conception inhabituelle, parfois même fils d’un dieu. Dans le cas de Jésus, c’est le mystère de sa conception virginale. La naissance est souvent dramatique, des tentatives pour tuer ce nouveau roi sont extrêmement courantes : ici Mathieu rappelle que le roi Hérode veut faire tuer Jésus pour conserver sa couronne. Enfin  la naissance est généralement signalée par un signe cosmique, ici l’étoile…

Mais alors, quel est donc l’intérêt ce soir de relire ce texte des mages qui viennent se prosterner devant Jésus, un texte biblique dont on peut douter de l’historicité ? Au-delà du plaisir que nous avons chaque année à réécouter ces contes de Noël, à perpétuer le folklore des galettes et des couronnes, que tirer pour notre foi et notre vie, de ce récit qui nous fait rencontrer Jésus pour la première fois dans l’évangile de Matthieu ? On peut répondre à cette question par ce simple mot d’élargissement. Un élargissement dans le temps, car c’est tout l’Ancien Testament qui est évoqué et accompli par les citations de paroles du prophète Esaïe que nous avons entendues. C’est un élargissement dans l’espace car les mages viennent de loin. C’est un élargissement culturel et religieux car ils sont des païens. Et tous les textes lus ce soir convergent pour dire que des gens de diverses nations seront attirés de loin et viendront s’approcher de celui qu’ils reconnaîtront comme le Christ. Et ils seront accueillis comme les membres d’une même famille. Aussi s’il nous arrive de nous percevoir aujourd’hui comme les dépositaires officiels de la foi chrétienne, ce récit des mages vient nous rappeler que ce sont des personnes étrangères à notre tradition qui viendront l’enrichir. Et elles auront toute légitimité de la part de Dieu pour y participer. Et ici je pense à tous les chrétiens d’Orient, de diverses confessions, qui sont dépositaires eux aussi de ce formidable trésor que sont les Ecritures.

Oui notre texte, redisons-le, premier récit de Matthieu sur Jésus, est empreint d’un universalisme tout à fait remarquable. Il nous invite à ouvrir largement nos esprits et aussi nos portes aux autres, dans nos églises et dans nos pays. C’est un appel important en particulier parce que nous vivons en un temps où la reconnaissance de la différence bafouée, le refus d’un accueil inconditionnel de l’étranger, le drame des migrations tragiques suscitent des débats passionnés parce qu’ils vont rarement au fond des choses. Sans vouloir évacuer ces débats, c’est une approche un peu particulière que je vous propose aujourd’hui pour méditer sur la venue des mages auprès de Jésus. Au lieu de nous placer auprès de Jésus et ses parents pour recevoir avec eux les mages, nous allons nous mettre à leur place en essayant de suivre leur parcours non seulement géographique mais aussi intellectuel et spirituel.

Nous sommes donc dans une ville bien loin de la Palestine, sans doute une grande ville perse, avec des palais et des temples. Il y a une religion bien établie, des cultes et des rites et des possibilités pour étudier. Les mages ont donc à leur disposition tout ce qui peut donner sens à leur vie. Ils sont peut-être prêtres, en tout cas savants. Mais voilà qu’ils veulent en savoir toujours plus, ils cherchent, ils lisent et ils scrutent le ciel. En un mot ils sont curieux.

Le sommes nous, nous qui avons tant de connaissances à notre disposition et sommes même encombrés par l’information ?

La curiosité des mages les amène à découvrir quelque chose d’étrange dans le ciel. C’est peut-être tout petit, mais c’est nouveau, c’est imprévu. Nos savants pourraient négliger ce signe, mais justement ce qui les motive c’est ce qui change, alors qu’ils sont devant un ciel qui certes tourne, mais en fait ne change pas. Ils sont disponibles pour l’imprévu.

Et nous, sommes-nous assez aux aguets pour repérer des signes qui viennent d’ailleurs alors que nous sommes dans un monde où tout bouge, mais où rien n’est vraiment nouveau ?

Quand ils ont repéré un signe extraordinaire, les mages réfléchissent, ils essayent de comprendre le message qu’il porte. Nous ne savons vraiment pas comment ils ont fait le lien entre un petit astre et la naissance d’un roi, mais ils ont compris qu’il leur fallait bouger. Leur découverte n’a pas été seulement intellectuelle et savante mais elle les a amenés à bouger et même à effectuer un grand déplacement qui n’a pas été seulement géographique. Il y eut des jours de marche, mais aussi un changement de milieu religieux et des découvertes et des étonnements.

A quels changements et déplacements physiques ou mentaux, les signes de Dieu nous poussent-ils ?

Le déplacement des mages se fait par étapes. Bien sûr parce qu’on ne peut pas faire des centaines de kilomètres en un jour mais aussi, nous dit notre récit parce que nos voyageurs ne sont pas allés directement à Bethléem. On peut se demander pourquoi l’étoile n’a pas mené les mages directement auprès de Jésus et de ses parents. Peut-être tout simplement parce que nos savants ne pouvaient pas tout savoir par leurs seules observations. Ils avaient besoin d’informations, d’explications venant d’autres qu’eux-mêmes. Ces informations non seulement complétaient ce qu’ils avaient compris, mais elles les corrigeaient en partie. Ils pensaient sans doute au départ que ce roi qu’ils cherchaient se trouvait dans une capitale. Ils ont eu besoin des renseignements de savants d’une autre culture que la leur pour savoir que c’était une petite bourgade qui était le but de leur voyage. Qui plus est c’est l’apport de textes sacrés qu’ils ne connaissaient pas, en l’occurrence des passages bibliques, qui leur a donné la réponse à leur question.

Savons-nous solliciter l’aide, les informations et explications dont nous avons besoin lorsque des questions vitales nous taraudent ? Savons-nous, entre autres, nous tourner vers l’Ecriture pour éclairer nos chemins ?

 Après le passage à Jérusalem, nous arrivons avec les mages à Bethléem. Et là c’est un exemple d’humilité qui nous est donné. C’est en effet vers une maison certainement très ordinaire que nos voyageurs étrangers se dirigent. Ils ne vont en tous cas pas chez le chef du village ni chez un notable. Et puis une fois sur place, devant des gens qui ne sont que de passage, quelque peu précaires, et plus précisément devant un nouveau-né, ils se prosternent. C’est un mouvement de profond respect vis à vis d’une personnalité importante et même, cultuellement, devant Dieu. C’est presque de l’adoration, au sens religieux. Quelle humilité, quel dépouillement de la part de ces mages respectables, même s’ils ne sont pas des rois !

Quelle humilité doit alors être la nôtre devant ce mystère d’une présence de Dieu si étonnante dans la faiblesse d’un nouveau-né précaire !

Faut-il maintenant parler des cadeaux ? Oui, et pas seulement pour annoncer l’offrande. Car ce n’est pas seulement le coût ou la valeur financière des cadeaux qui importe, bien que l’or, la myrrhe et l’encens n’étaient pas gratuits ; c’est leur valeur symbolique. Ils avaient en effet une fonction cultuelle, dans le temple, l’or attirant le regard, la myrrhe servant pour les onctions corporelles et l’encens touchant l’odorat et montant vers Dieu. L’offrande de cadeaux par les mages est donc bien un geste riche de sens pour eux… et pour nous lecteurs.

Quelles offrandes, pas seulement financières, peuvent être les nôtres aujourd’hui ? L’offrande joyeuse, l’offrande de notre argent, l’offrande de notre travail, l’offrande du temps nécessaire à l‘écoute et toute offrande que nous inspire l‘amour de Dieu, dit une de nos liturgies dominicales !

Nous voilà arrivés au bout du voyage des mages. Laissons-les rentrer tranquillement chez eux sans repasser par Jérusalem. Que nous reste-il d’eux ? Ces quelques questions que je reformule ainsi : Sommes-nous comme eux curieux et prêts à l’inattendu ? Cherchons-nous à comprendre les signes et appels que Dieu nous adresse ? Sommes-nous prêts aux changements et aux déplacements ? Restons-nous à l’écoute des autres et de l’Ecriture ? Quelles offrandes significatives et joyeuses pour aujourd’hui et pour demain ? De quoi réfléchir et avancer ensemble, chrétiens différents dans l’expression de notre foi mais unis sur des chemins semés des embûches de l’histoire humaine mais guidés par l’étoile ! Amen !  

Hélène Brochet-Toutiri

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Une réponse sur « Homélie de la célébration oecuménique du 22 janvier 2022 »

[…] – Petit retour en arrière, sur la prière pour l’unité des chrétiens vécue à Barbezieux le 20 janvier. Vous trouverez ici la prédication d’Hélène Brochet-Toutiri. […]

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