Chers frères et sœurs,
A cause des textes de la Parole de Dieu qui nous sont donnés d’entendre chaque mercredi des cendres ; à cause peut-être aussi de cet extrait de l’évangile de Matthieu qui nous rappelle les fondamentaux de la pénitence, nous abordons chaque année le carême toujours de la même manière. Nous venons célébrer cette messe des cendres dans un esprit de contrition, et nous nous servons de ce jour pour faire le point sur notre manière de vivre. Nous pouvons ainsi choisir quels efforts de carême nous allons FAIRE, quelles résolutions nous allons PRENDRE pour nous rapprocher de Dieu. Loin de moi l’idée de rejeter une telle pratique ! Comme certainement beaucoup d’entre vous, j’ai moi-même pris le temps de discerner, de chercher ce qui pourrait être propice pour me rapprocher de Dieu pendant ces quarante jours qui me séparent de Pâques. Mais ce matin, en lisant le prophète Joël, je me suis dit que cette pratique très pieuse n’était peut-être pas suffisante. En tout cas, qu’elle ne devait pas occulter une autre dimension qui paraît essentielle : si c’est bien MOI qui travaille à ma conversion, c’est bien Dieu qui en est le but, la finalité. La phrase qui m’a ouvert les yeux est celle qui ouvre la première lecture : « déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements et revenez au Seigneur votre Dieu » proclame le prophète dans un élan spirituel… avant d’ajouter « CAR il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment ». Comme il est importante, chers frères et sœurs, ce verset prophétique pour aborder avec justesse ce temps de carême ! Car il nous empêche d’en faire une sorte d’exploit personnel basé sur la force de notre volonté, sur la pénibilité de nos petits sacrifices et sur la difficulté de nos pénitences. Ce verset nous oblige à centrer TOUJOURS nos efforts sur un point focal : le Seigneur notre Dieu, lui qui est « lent à la colère et plein d’amour ». Evidemment, cela ne veut pas dire que nous devrions arrêter tout effort et tout sacrifice. Le prophète appelle d’ailleurs à la conversion à plusieurs reprises : « revenez au Seigneur votre Dieu » ; « Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré ». Mais cela nous empêche de faire du sacrifice une fin en soi. Je crois que l’auteur sacré retourne en quelque sorte la perspective qui nous vient naturellement à l’esprit. Le carême, ce n’est pas tant l’avancement de l’homme vers Dieu par ses efforts que l’appel de Dieu pour qu’il vienne à la rencontre de l’homme. Car la raison de la pénitence est Dieu lui-même, tellement autre que l’homme qu’il faut préparer son cœur pour qu’il vienne l’habiter. Le prophète crie son message : « revenez vers Dieu », non pas pour que vous avanciez vers lui, mais pour que lui vienne à vous. « Car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour », le Dieu qui nous a créé et qui n’a d’autre désir que de nous sauver, de nous élever jusqu’à lui. Alors comment faire, chers frères et sœurs, pour ajuster nos pénitences ? Comment faire pour que ces dernières ne se transforment pas progressivement en petits exploits orgueilleux et donc stériles ? Le prophète Joël nous donne encore une piste par une formule aussi belle que profonde : « déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». Parce que Dieu est amour ; parce qu’il nous appelle à nous aimer les uns les autres COMME il nous a aimés ; parce qu’on ne peut l’aimer que s’il on aime son prochain, la pénitence qui lui plaît est de déchirer nos cœurs ! Le carême est le temps par excellence pour les ouvrir, pour les fendre, pour les creuser afin qu’il y ait suffisamment de place pour que Dieu vienne y demeurer et aimer à travers nous ceux qui nous sont donnés pour frères dans l’Eglise et dans le monde.
Alors, chers frères et sœurs, pendant ces quarante jours qui nous préparent à vivre le mystère pascal, ordonnons toute notre vie à Dieu qui est notre fin ! Déchirons nos cœurs pour qu’il vienne les habiter ! Et ajustons nos pénitences pour qu’elles n’aient qu’une seule fin : l’amour de Dieu qui se diffuse dans toutes nos relations. Amen.
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