Homélie du Jeudi Saint par le P. Benoît Lecomte

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 1 avril 2021

Étrange, que dans l’évangile selon Saint Jean, dans le récit qu’il fait de la Cène, tout soit dit dans le lavement des pieds. Saint Jean en oublie de parler du pain et du vin devenus Corps et Sang du Christ et geste mémorial. Pour lui, tout est dit là, dans cet abaissement, dans cette posture de serviteur – et même d’esclave – d’un Dieu à genoux devant l’Homme. Tout est dit là et c’est ce geste, ce mouvement, cette attitude qui devient mémoriale. « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Une autre façon de dire : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » Autre façon, aussi, de rendre désormais le Christ présent et de le reconnaître : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie » et de cet amour, « il les aima jusqu’au bout. »

Geste sacrificielle. Non pas seulement une pédagogie que Jésus aurait voulu employer pour faire comprendre son testament à ses disciples, mais geste de Révélation, de manifestation de Dieu auprès des hommes, de sa véritable identité divine qui révèle en même temps, comme à chaque fois, la véritable identité de tout homme. « A ceci, tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples »… « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. »

La communion au Corps et au Sang du Christ, que nous avons reçue, dont nous vivons et que nous voulons transmettre dans un même pain rendant le Christ présent à travers toutes les générations, est devenue l’eucharistie du dimanche. Le lavement des pieds est l’eucharistie de tous les jours. L’eucharistie qui dépasse nos rassemblements ecclésiaux, qui sort des murs de nos églises et de nos liturgies ritualisées. L’eucharistie qui rejoint et entraîne tout homme, non seulement dans l’esprit, l’âme, le cœur et la prière mais aussi dans le corps, la chair et les sens. L’eucharistie du frère qui prolonge et parfait l’eucharistie du repas, pour nous dire tout du don d’amour de Dieu pour nous, l’une n’allant jamais sans l’autre.

« Vous mangerez en toute hâte, c’est la Pâque du Seigneur », entendions-nous à propos du repas pris au départ de la fuite d’Egypte pour vivre le passage. Repas de la libération du Peuple révélant Dieu comme le Libérateur. Libération du repas pascal actualisé en chaque repas eucharistique dans ce pain et ce vin partagés, dans ce Corps et ce Sang versés, en Libération pour nous. Et c’est cette geste du lavement des pieds, geste de service et de serviteur qui nous est donné en ce soir comme nouvelle Libération. Libération des égoïsmes et des orgueils, libération des fausses images de Dieu, libération de l’amour tapis au cœur des hommes pour que l’amour soit donné, « jusqu’au bout. »

« Il les aima jusqu’au bout. » « eis to telos », en Grec. Jusqu’à la fin. Jusqu’au but final. De toute sa liberté et sa volonté. De tout son être et pour que tout soit accompli, dans un absolu d’absolu qui n’appartient qu’à Dieu, mais dont tout homme a soif. Il les aima jusqu’au bout. Jusqu’au bout de lui-même, jusqu’au bout de l’Homme. Jusqu’à l’extrême de Dieu et de l’Homme, dans cette rencontre de l’intime : la noirceur des pieds salis. Jusque là, Dieu t’aime. Jusque là, Christ se fait serviteur. Jusque là il t’invite à l’accueillir – car qu’est-ce qui est le plus difficile : servir ou être servi ? Laver ou se faire laver ? Pierre, Simon-Pierre en sait quelque chose, lui qui prend la parole à notre place. Accueillir Dieu jusque là, non pas uniquement dans le baiser amoureux de la manducation eucharistique, mais jusque dans les salissures de ton humanité – et pourquoi pas de tes dépendances et de tes hontes. Dieu se fait serviteur des serviteurs, et ce n’est pas une idée mais une réalité qu’il nous faut accueillir dans ce qu’elle a de plus dérangeant, de plus déroutant, de plus étrange, de plus mystérieux et aussi de plus grand. Passage à vivre, comme une Pâque libératrice. Toutes nos carapaces, nos constructions et nos défenses peuvent maintenant s’effondrer puisque c’est lui qui est en-bas, aux pieds, à terre. Tout peut tomber… entre ses mains qui lavent et prennent soin, rafraîchissent et relèvent, accueillent et caressent. En cette geste, tout est déjà accompli.

Ce soir, au cours de cette eucharistie, du mémorial du don jusqu’au bout, portons dans notre prière tout à la fois ceux qui se font serviteurs et ceux qui ont besoin d’être aidés et soutenus – et ne sommes-nous pas les uns et les autres au cœur même de nos journées. Entrons en solidarité avec tous ceux de notre monde qui ont soif d’être aimés de Dieu et avec tous ceux qui aiment dans le concrets de leurs présences et de leurs engagements, petits ou grands. Exigence eucharistique. Dans quelques instants, à travers quelques témoignages priants nous entrerons dans cette dimension étonnante à laquelle nous ouvre l’eucharistie : la dimension de la fraternité universelle, du service mutuel, de l’humanité mise à nue et partagée, de la dignité recouvrée de chacun, recouvrée parce que relevée par Dieu lui-même en ce Corps qui devient nourriture offerte à la multitude, faisant de nos corps son Temple, relevée en cet amour « jusqu’au bout ».

Et nous, de transmettre à notre tour ce que nous aurons reçu et de faire aux autres « comme il a fait pour nous. » Pour entrer avec Lui dans le Mystère de la Croix, ce Mystère qui unit intimement Dieu et l’Homme et tous les hommes entre eux, dans une communion qui ne finira pas, dans la joie d’une Alliance retrouvée, dans le don « jusqu’au bout » de Son humanité. Entrons dans la Pâques du Seigneur, dans le mémorial de sa Passion, dans le don de sa vie à l’infini.

Amen.

P. Benoît Lecomte

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