Le corps a souvent été mal considéré par l’Église… ou du moins c’est ce qu’elle en a laissé percevoir. Le corps et tout ce qui lui est lié, notamment la sexualité. A l’heure où éclatent les scandales et les abus – non seulement des corps mais à travers eux des personnes – c’est pourtant tout l’inverse qu’affirme Saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens : « Le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps. Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint… Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps. » Voilà qui aurait de quoi, s’il en était besoin, nous réconcilier avec le corps, avec nos corps. Ces corps qui « sont membres du Christ », dit Saint Paul, avec une image qu’il développe ailleurs un peu différemment lorsqu’il dit que nous sommes tous, chacun pour notre part, membres du Corps du Christ.
De corps, il en est aussi question dans les autres lectures du jour. De la parole et de l’écoute, dans le livre de Samuel. Alors que le jeune homme se repose, voilà qu’il doit écouter pour entendre Dieu parler. Du regard, de la vision et de la marche, dans l’évangile. Alors que les disciples de Jean le Baptiste échangent, Jean pose son regard « sur Jésus qui allait et venait. » « Venez, et vous verrez », leur dit ce dernier. « Il allèrent, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » Car le corps est le lieu des sens : de l’ouïe et du regard, de l’odorat, du goût et du toucher. Aujourd’hui, ouïe et regard sont convoqués. Ecouter et voir, pour répondre et pour suivre.
Voilà tout un programme de vie chrétienne et humaine, chrétienne parce qu’humaine. Invitation à ce que notre vie prenne corps, comme Dieu l’a fait en Jésus Christ. La réponse à l’appel de Dieu, la suite du Christ se vit dans l’incarnation. Il n’y a pas d’autre chemin d’humanisation pour nous, que celui que Dieu a lui-même pris. Et ce qui est vrai pour chacun de nous l’est aussi pour l’Église : « La route de l’Église, c’est l’Homme », disait Jean-Paul II dans sa première encyclique. L’Homme qui marche, l’Homme qui cherche, l’Homme qui écoute, l’Homme qui construit, l’Homme qui souffre, l’Homme qui a faim, soif, qui est rejeté ou en prison, l’Homme qui est capable de beauté et de solidarités, l’Homme pécheur capable aussi de louer son Créateur. L’Homme dans toutes ses dimensions. L’Homme dans tous ses sens.
« Parle, ton serviteur écoute. » « Venez, et vous verrez. » Rien de mieux que ces deux invitations pour nous mettre en mouvement. Mouvement intérieur, pour que la Parole de Dieu vienne pénétrer nos cœurs et nos pensées, pour que nos oreilles soient attentives à la vie du monde. Mouvement d’ouverture pour nous mettre en marche, en attitude de rencontre, d’accueil, de découverte. Double mouvement pour aller en un seul lieu, le lieu où tout s’éclaire et se consume, où tout se déploie et prend sens, le lieu où tout est communion : la demeure du Maître, le Christ. L’Amour, avec un grand A. C’est là, dans les entrailles de notre cœur et de notre monde, que Dieu nous attends. Pour y faire notre demeure, pour y demeurer avec Lui, en Lui.
Une demeure qui ne peut être le lieu de notre confinement. « Le Fils de l’Homme n’a pas une pierre où reposer sa tête. » Inutile d’imaginer que Dieu nous invite au cocooning en nous invitant chez lui. Nous serions déçus – et nous le sommes, quand l’aventure nous paraît parfois trop fatigante. Le bonheur ne se trouve pas dans le canapé, mais sur la route. Sur la route de l’Homme, sur la route de Dieu, sur les routes du monde, le cœurs et les mains ouverts, les oreilles et le regard attentifs. Sur la route du corps à corps de la fraternité et de l’unité. Trouver le Christ n’est pas une arrivée (« Nous avons trouvé le Messie, le Christ », annonce André à son frère Simon. Mais cette rencontre est un nouveau départ, une nouvelle naissance : « Tu t’appelleras Kèphas. ») Trouver le Christ, demeurer avec lui, c’est partir à l’aventure de l’Humanité, en notre corps.
N’est-ce pas, d’ailleurs, ce qui préoccupe notre monde et nos esprits aujourd’hui ? C’est bien nos corps que nous voulons protéger du virus et pour lesquels nous nous imposons tant de mesures pour en prendre soin ! Ce sont nos corps et toute notre vie d’incarnation dont il va encore être question dans les débat politiques et de société avec la révision des lois de bioéthique dans les prochaines semaines. Et c’est dans ce corps social que nous sommes invités, par le Christ aujourd’hui, non pas à nous confiner chaudement à l’heure du couvre-feu, mais à rappeler et manifester que nos corps, nos vies, nos existences sont pour la gloire de Dieu, c’est-à-dire pour l’Amour vécu dans l’humble quotidien, dans la présence aux plus petits, dans les relations que nous tissons jour après jour avec ceux qui nous entourent. Pour le souci du respect de la dignité de chacun, quelque soit son histoire. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », disait Saint Irénée. A nous de donner « corps » à cette gloire.
Un corps « sanctuaire de l’Esprit Saint », c’est aussi ce que nous voulons former, petit à petit, dans notre paroisse. Malgré les confinements et les couvre-feu, malgré les distances et nos pauvretés, avec toutes nos différences et toutes les richesses des communautés locales, nous voulons faire unité. Nous voulons faire en Lui notre demeure pour demeurer toujours davantage en notre monde, être ouverts aux cris des hommes, cris de joie et cris de douleur, et y répondre par tout ce que nous sommes. Et poser sur ce monde – à commencer par ce monde du Sud Charente, dans ses défis et ses richesses – un regard d’amour, comme celui de Jean sur Jésus, comme celui de Jésus sur Simon. Un regard qui relève, un regard qui encourage et ouvre l’avenir, un regard qui fait vivre et revivre… de ce regard que le Christ pose sur chacun de nous et sur nos tâtonnements d’Eglise.
Former le Corps du Christ, dans la diversité de ses membres et l’unité de l’Esprit : c’est pour cela que Jésus appelle des disciples à sa suite dans l’Evangile. C’est cette même et unique Eglise du Christ que nous rendrons visible cette « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens ». Cette prière de Jésus rejoint notre désir le plus intime, d’être enfin unis à travers toutes nos confessions et de manifester au monde la beauté d’un corps sans blessure, ou plus encore, la beauté d’un corps aux blessures pardonnées.
« Parle, ton serviteur écoute. » « Venez, et vous verrez. » Avec Samuel, André, Simon et tous les autres, répondons à l’appel de Dieu à prendre corps pour manifester la beauté de Dieu et sa proximité amoureuse, celle qui passe par nous.
Amen
P. Benoît Lecomte
Une réponse sur « Homélie du dimanche 17 janvier 2021 par le P. Benoît Lecomte »
[…] d’abord, comme à l’habitude désormais, vous pouvez suivre le lien pour lire l’homélie du Père Benoît de ce […]