« Tu vas concevoir et enfanter un fils. » Naissance. Histoire de naissance. Celle de Jésus, que nous allons célébrer dans quelques heures maintenant. Celle de Marie, qui consent à la Parole de Dieu et qui va naître à la maternité. Celle du Sauveur, déjà en route vers notre humanité par ce Oui de Marie. Et la nôtre, dans « la révélation de ce mystère gardé depuis toujours dans le silence, mystère manifesté au moyen des écrits prophétiques, mystère porté à la connaissance de toutes les nations », révélation de la grandeur de notre humanité et de notre vocation humaine. Naissance. Nouveau commencement. Ouverture d’une nouvelle ère. Comme un prélude avant la symphonie. Tout est déjà là, en germe. Non seulement la naissance de ce fils, mais la révélation manifestée à nos yeux du projet de Dieu par Dieu Lui-même.
Et tout est déjà dit. Tout est déjà là. La femme stérile aussi est enceinte, tout comme la jeune vierge. La vie jaillie de là où elle ne peut jaillir. Elle s’est frayé un passage là où on ne l’attendait pas, là où on ne l’attendait plus. Puissance de Dieu – sa seule puissance, mais toute sa puissance. Depuis l’infini des temps, Dieu ne cesse de se manifester ainsi : de rien à toute la création, du désert à la source d’eau vive, de la stérilité à la fécondité, de la mort à la vie. Signature du passage de Dieu : jaillissement de vie, naissance nouvelle, commencement.
Le plus étrange n’est donc pas l’annonce de cette naissance – puisque c’est dans l’habitude de Dieu que de naître là où rien ne peut naître, puisque c’est dans sa nature que de sortir de Lui-même et de se donner par amour. Le plus étonnant dans cette histoire n’est pas Dieu, mais l’Homme. En l’occurrence, la femme. La jeune. Marie. Et son « fiat », et son « oui ». « Que tout m’advienne selon ta parole. » Jusqu’à maintenant, combien de fois le peuple élu avait-il refusé Dieu, s’était bouché les oreilles à l’écoute de sa Parole, avait fermé les yeux à la vue de ses signes, l’avait rejeté prétextant que « c’était mieux avant », plus stable, moins confortable, peut-être, mais au moins, rassurant. Combien de fois avait-on fermé la bouche aux prophètes qui exhortaient à autre chose – quand on ne les avait pas chassés ou tués ? Mais ici, pas de fuite. Marie est là. On la représente à genoux, j’aime l’imaginer debout. Prête à prendre la route qui s’ouvre à elle, ce chemin inattendu, le cœur confiant et grand ouvert. « Oui. » « Fiat. » Elle s’engage. Elle engage. Elle nous engage. Elle nous prend avec elle. Son « oui » nous entraine car nous partageons tout avec elle : elle est fille du peuple, elle est de chez nous, elle est l’une d’entre nous. Son Oui nous engage, et toute l’humanité. Peut-être n’aurions-nous pas dit oui. Qui sait ce que nous aurions répondu ? Mais elle, se tient là, debout, au milieu de nous, et prend la parole pour nous, pour nous tous, en notre nom à tous, au nom de toute l’humanité. « Oui, Seigneur. Je ne sais comment cela va se faire, mais viens. Viens parmi nous. Viens parmi les hommes. Viens selon ta Parole. » Son « oui » prononcé dans le secret de sa maison, résonne dans la nuit de toute l’humanité, dans la nuit des temps. Il ouvre l’Histoire. Ouverture à la Naissance. « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils. »
Et voilà que Marie devient figure de l’Eglise. Ou plutôt, que l’Eglise trouve en Marie son modèle. Son Oui est notre oui, les hésitations en moins. Mais la réalité demeure : « La Vierge a été par sa vie le modèle de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à la mission apostolique de l’Eglise, travaillent à la régénération des hommes » (LG 65), diront ensemble les évêques du monde entier, 2000 ans plus tard. Bond temporel, mais le « oui » demeure. Et il est nôtre. Encore davantage en cette veille de Noël. Il est nôtre et il n’est pas optionnel, pas réductible. Il est là. Comme hier pour Marie, l’Esprit nous prend sous son ombre pour que nous donnions naissance au Fils de Dieu. Non dans une crèche comme il y a 2000 ans, mais en notre monde fracturé et blessé, fragile et inquiet. Comme l’était déjà le monde, il y a 2000 ans. Le Oui de Marie nous renvoie à notre mission : rendre visible en notre monde Celui qui est le Fils de Dieu. Jésus. Le Christ. Non par des incantations, mais par la chair, les paroles et les signes. Le rendre présent réellement, comme Lui-même se rend présent. Le rendre présent par l’Amour et la confiance, l’espérance et l’ouverture. Et par le jaillissement de la vie, là où tant ne la perçoivent plus, ne l’attendent plus.
« Tu vas concevoir et enfanter un fils. » Cette parole de l’ange est pour Marie une annonce. Elle est pour nous un appel, une invitation, un envoi. Ne fêtons pas Noël simplement entre nous, bien au chaud, calfeutrés dans la douceur des chocolats. Il s’agit de naissance – et pourquoi pas jusque dans les douleurs de l’enfantement. Il s’agit d’enfanter le Fils de Dieu, ici et maintenant, pour notre monde. Le Oui de Marie nous rend responsables, nous qui mettons nos pas dans les siens. Responsables d’une naissance, de la naissance d’un Amour qui prend visage. Puissions-nous, par toute notre vie, notre foi, notre volonté et notre cœur, répondre « oui », nous aussi. Oui, Seigneur, que vous nous advienne selon ta Parole. »
Amen.
P. Benoît Lecomte
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