Jésus dort. Rien ne va plus dans la barque, la tempête est violente, les vagues passent par dessus bord et Jésus dort. Et c’est ce dont nous avons bien souvent l’impression au cœur de nos tempêtes. Maladie, pandémie, injustice, crises familiale, affective ou de travail, relationnelles, elles sont si nombreuses ces tempêtes qui nous assaillent. Pas forcément en permanence, heureusement ! Mais par moment et de façon violente. Nos corps et nos cœurs sont touchés, nos certitudes sont ébranlées. Rien ne va plus dans nos vies ou dans le monde, et Jésus dort.
Alors, en bons croyants que nous sommes ou que nous devenons devant la peur de l’avenir, comme les disciples, nous essayons de le réveiller : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Nous nous tournons vers Dieu pour lui quémander une grâce, un sursis, une pause, une amnistie. Un arrêt des hostilités contre nous. La paix. Un miracle.
Le Dieu des miracles. Voilà celui à qui nous faisons appel pour régler nos difficultés à affronter les événements. Et d’une certaine façon, les disciples obtiennent gain de cause. Jésus menace le vent et fait taire la mer à la manière d’un exorcisme, comme en interpelant un démon : « Silence, tais-toi ! » Si Jésus le fait avec ses disciples, pourquoi celui qui a promis d’être avec nous jusqu’à la fin des jours ne nous écouterait pas ?
Et il y a des fois où tout montre que nous avons eu raison d’interpeler le Maître. Les choses s’apaisent, se calment. Pour combien d’autres fois où rien ne paraît se passer ? Ou les délais de réception de la grâce s’allongent inconsidérément ? C’est qu’il faut nous rappeler le statut des miracles dans les évangiles, ou plus précisément dans celui selon Saint Marc que nous venons d’entendre – car chaque évangéliste a sa propre logique. Dans cet évangile, tous les récits de miracles nous orientent vers un seul et même événement : Pâques. Tous les récits de miracles sont des annonces ou des anticipations de l’événement de Pâques, de la mort et de la résurrection de Jésus. Ils sont des signes et non des solutions. Ils ne sont que des signes qui racontent et sensibilisent le lecteur à ce qui va se passer à la fin de façon glorieuse et définitive : la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine, de la confiance sur la peur. Autrement dit, Dieu n’est pas un grand pourvoyeur de solutions extraordinaires qui arrangent bien nos affaires, mais le Dieu de la vie, d’une Vie d’une puissance infinie qui, s’offrant à nous dans sa mort et la violence de sa mort en croix, nous offre aussi de façon mystérieuse la puissance de sa résurrection. « Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux », disait Saint Paul aux Corinthiens. « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. » Puissance de l’événement pascal. Puissance de l’événement baptismal que nous vivons aujourd’hui en entourant Charly de notre présence et en l’accueillant dans la famille des disciples du Christ, pour qu’il devienne lui aussi témoin de l’intérieur de lui-même de cette puissance de vie qui vient nous rejoindre, nous habiter et nous porter.
Job, dont nous avons entendu un court extrait de son livre en première lecture, connaît cela. Lui qui avait tout et à qui tout réussissait, a tout perdu. Il est tenté d’attribuer cette descente aux enfer à son péché, il est tenté de chercher la mort pour échapper à son malheur. Mais il fait l’expérience que Dieu reste là, avec lui, au cœur même de sa misère. Que Dieu ne va pas tout rétablir d’un coup de baguette magique, mais que la puissance de Dieu est de continuer à être présent et à donner confiance et espérance alors même que la nuit est au plus noir. Et croire que l’aurore va venir. Ce que Jésus nous signale et qui est efficace, c’est qu’il faut s’accrocher à lui dans les épreuves, non pour supprimer l’épreuve mais pour la traverser.
Et au milieu des tempêtes des hommes et de notre monde, notre mission de baptisés est sûrement de témoigner de cette foi, de cette confiance en Dieu, offrant par là la paix du cœur et l’espérance d’un horizon. C’est dans cette annonce que se tient l’Église, même maladroitement. C’est cette parole et cette présence venues d’un autre, du Tout Autre, parole et présence d’ouverture et d’espérance qui sont attendues et qui font du bien à ceux qui les reçoivent. Parce qu’elles ne disent pas régler magiquement tous les problèmes, mais qu’elles assurent que nous ne sommes pas seuls dans les épreuves et que nous pouvons compter sur Celui que rien n’arrête et qui peut tout faire advenir à la vie, à la lumière, à la joie, à la paix.
Jésus avait lancé l’invitation à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Pas uniquement à passer sur l’autre rive du lac, mais aussi à passer le passage de la Pâque. A changer d’horizon. A découvrir et rencontrer Dieu de façon toujours nouvelle et pas forcément ajustée à nos façons de penser. « Qui est-il donc, celui-ci ? » demandent les disciples à la fin du récit. Il nous faut et il nous faudra du temps et encore du temps pour connaître celui qui est Maître et Seigneur et qui répond à nos demandes en dépassant les réponses que nous attendons. Dans la confiance que malgré son sommeil apparent, Celui qui est, qui était et qui vient est là, au milieu de nous, que nous pouvons tout lui confier de nos peurs et de nos soucis, et que par lui toute chose devient nouvelle.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Une réponse sur « Homélie du 20 juin 2021 par le P. Benoît Lecomte »
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