(33ème dimanche du Temps Ordinaire (Année C))
Chers frères et sœurs,
Comme chaque année, à mesure que l’on se rapproche de la fête du Christ Roi, les textes de la Parole de Dieu deviennent de plus en plus « apocalyptiques ».
Au début de cette homélie, je voudrais m’arrêter un instant sur ce mot compliqué : « apocalyptique ». D’abord parce qu’il est passé dans le langage courant. On pourrait même dire qu’en raison de l’attention portée par notre époque à l’écologie et au réchauffement climatique, ce terme s’est démocratisé. Il y a même aujourd’hui un genre cinématographique qui porte son nom. On parle de « films apocalyptiques » pour identifier ces scénarios qui enchaînent les catastrophes humaines et naturelles conduisant irrémédiablement à la fin du monde et à l’extinction de l’humanité.
A la lecture de l’évangile de ce jour, on comprend comment on en est arrivé à définir le mot « apocalypse » comme la fin tragique du monde. Cependant, je me dois de signaler que c’est une réduction substantielle et dommageable de ce mot dont la portée originelle est bien plus vaste. En grec, « apocalypse », cela veut dire « révélation », « dévoilement ». D’ailleurs, dans le Nouveau Testament, le livre qui porte ce nom, n’a pas du tout pour but de nous donner une explication scientifique et temporelle de la fin des temps. Le livre de l’Apocalypse cherche bien plutôt à nous transmettre, dans un langage poétique et symbolique, comment Dieu se révèle au monde pour aujourd’hui, pour demain… et ultimement pour la fin des temps.
Je me permets d’insister ce dernier point, chers frères et sœurs. Car je crois que c’est une clé essentielle pour comprendre le glissement du sens de l’« apocalypse » au fil du temps.
En effet, si on traduit ce terme grec par « révélation », pour nous chrétiens, il apparaît assez évident que Dieu ne se contentera pas de se révéler à la fin des temps. Depuis l’origine, depuis la création, Dieu ne cesse de se révéler. Il l’a fait en créant l’homme et la femme à son image. Il l’a fait en tissant une alliance avec Noé puis avec Abraham. Il s’est révélé à Moïse comme « Celui qui est », celui qui libère son Peuple de l’esclavage… et au terme de ce long cheminement, il s’est révélé d’une manière indépassable dans la Personne de Jésus. Comme le dit avec des mots choisis le concile Vatican II : Jésus est la « plénitude de toute la révélation ».
Mais bien évidemment, cela ne veut pas dire qu’à partir de Jésus, Dieu cesse de se révéler… Ce sommet, cette plénitude, ne cesse de se déployer, de se déplier jusqu’à nous aujourd’hui et jusqu’à la fin du monde. Car, bien entendu, le cosmos dans lequel nous vivons n’est pas éternel. Et dire que la révélation se déploie depuis l’origine ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de fin. Le monde, comme toute réalité ici-bas est lui aussi appelé à être transformé, renouvelé par Dieu à la fin des temps.
Je crois que cette petite explication sémantique nous aide à éclairer l’évangile de ce jour sous une nouvelle lumière.
Car la question qui est posée par les disciples à Jésus est celle du « quand ? » : « Maître, demandent-ils, QUAND est-ce que cela arrivera ? » QUAND est-ce que tout sera totalement détruit ?
Remarquons que Jésus refuse de répondre à cette question. Il ne dit pas « demain », « l’année prochaine » ou « dans dix siècles ». La question du « quand » est non-avenue ! Parce que ce n’est pas une question de temps. D’ailleurs, Jésus développe aussitôt son propos : « prenez garde de ne pas vous laisser égarer car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ‘c’est moi’, ou encore : ‘le moment est tout proche’ ». Jésus le dit haut et fort : « ne marchez pas derrière eux ».
C’est alors qu’il se met à répondre à leur seconde question : « Quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »… Il y répond, certes ! Mais là encore, Jésus ne donne aucun moyen précis de faire un calcul. Il parle de « guerres » au pluriel, puis de « désordres » qui doivent arriver « d’abord ». Puis il parle de « tremblements de terre », de « famines », « d’épidémies », de « grands signes venus du ciel », puis de « persécutions »… Autant de signes qui, malheureusement, arrivent à toutes les époques ! Y a-t-il eu une période historique depuis la naissance de l’humanité qui ait été épargnée par ces phénomènes ? Non, vraiment, je crois qu’on peut le dire très clairement, on peut faire les recherches les plus approfondies, Jésus ne donne ici aucun moyen de déterminer quand aura lieu la fin. Précisément parce que là n’est pas son but.
Bien au contraire, je crois qu’il cherche à nous dire que toute époque est simultanément le théâtre de tous ces signes et de sa révélation, c’est-à-dire de sa présence mystérieuse au milieu de nous. « Mettez-vous donc dans l’esprit, poursuit-il, que vous n’aurez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est MOI qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister, ni s’opposer ».
Ainsi, les exemplaires de Nostradamus et les calendriers mayas peuvent donc être rangés dans les rayons les moins utilisés des bibliothèques. L’Eglise a toujours été sceptique à l’idée que l’on puisse définir la date de la fin du monde. Précisément parce que Jésus nous dit ailleurs que lui-même n’en connaît pas la date. Précisément parce que ce n’est pas une question de date ! Pour reprendre l’expression de l’évangile de ce jour, le « moment n’est pas tout proche ! » parce qu’il est déjà advenu. Ou, plutôt, il ne cesse d’advenir. En revanche, c’est le Royaume de Dieu qui est tout proche parce qu’il se construit avec nous, par nous, tant que nous demeurons enracinés dans la révélation de Dieu qui a atteint sa plénitude dans le Christ Jésus.
C’est d’ailleurs là que nous sommes appelés à mettre toute notre énergie. Non pas dans une recherche vaseuse de la fin des temps, mais dans la construction du Royaume de Dieu qui nécessite notre engagement et notre travail quotidien. Aucun autre que saint Paul, peut-être, n’attendait avec plus de ferveur la venue du Jour du Seigneur. Il le pensait même imminent. Cependant, cela ne l’a pas empêché d’ordonner aux Thessaloniciens de travailler « dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné ».
Comme on le dit souvent pendant le temps de l’Avent, le temps par excellence de l’attente, nous devons toujours être prêts à accueillir le retour du Seigneur. Vivre chaque jour de notre vie comme si c’était le dernier. Mais c’est précisément pour cela que nous devons aussi, comme chrétiens, être des « modèles à imiter » à la suite de saint Paul. Des modèles de constance, des modèles de persévérance, des modèles de confiance dans le Seigneur, malgré les « phénomènes effrayants » qui jalonnent notre histoire.
Pour cela, nous avons certainement la plus grande des forces : la foi en Jésus-Christ qui a vaincu la mort et qui nous appelle à ressusciter à sa suite. C’est ce que nous célébrons dans cette eucharistie dominicale. C’est ce à quoi nous communions déjà dans le Pain consacré, Corps du Seigneur Ressuscité, qui fait de nous le Corps du Christ, le Temple de l’Esprit Saint. Alors, chers frères et sœurs, fortifiés par l’Eucharistie, travaillons à l’avènement du Royaume dans ce monde troublé. Présentons-le à Dieu pour qu’il le renouvelle et le transforme, pour qu’il en fasse une terre nouvelle et des cieux nouveaux. Amen.






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