La campagne des présidentielles n’est pas encore officiellement lancée, mais les « écuries », comme on les appelle, se préparent. Et déjà commencent les sondages pour mesurer les popularités, savoir qui sera le mieux placé et quelle stratégie adopter en fonction des différents scenarii envisagés pour pouvoir l’emporter. Étonnamment, Jésus aussi, au milieu de l’évangile selon saint Marc, se lance dans un sondage de popularité. « Au dire des gens, qui suis-je ? » Comme s’il avait besoin de savoir où il en était de l’opinion public. Comme s’il se souciait d’un coup de sa côte de popularité. « Et pour vous, qui suis-je ? » Pierre répond comme un directeur de campagne coachant son candidat : « Tu es le Christ ! » Tu es celui qui va l’emporter ! Tu es le meilleur ! Tu es le Sauveur ! Tu es celui qui va écraser tous les autres et prendre le pouvoir !
Pierre est dans sa logique mais il n’a rien compris. Il n’y a que lui, dans tout l’évangile, que Jésus traitera de « Satan », de diviseur, d’embrouilleur. Ses pensées « ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Jésus ne pense pas sa présence, son action, ni même sa victoire comme un candidat à la présidence de la République. Sa victoire sera celle de l’amour des ennemis et de la vie sur la mort, son action sera celle du pardon, sa présence sera celle du serviteur. Renversement des valeurs. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. » C’est cette victoire du Messie qui était déjà annoncée dans le grand poème du serviteur souffrant dans le livre d’Isaïe, et que Jésus vient réaliser et accomplir. Et c’est la victoire de toutes les victoires, parce que c’est la victoire définitive, qui ne peut plus être remise en question. Une fois que la mort est morte, qu’est-ce qui peut arrêter la vie ? Une fois que le pardon l’a emporté, quelle force la haine peut-elle avoir ? L’événement pascal emporte tout sur son passage.
Et l’événement pascal ne nous est pas étranger. Plus encore, nous y sommes passés. Rappelez-vous, c’était le jour de notre baptême, ce jour où nous avons été marqués du signe de la croix, comme Lola en a été marquée tout à l’heure. « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive », dit Jésus. Lors de la préparation de cette célébration, nous nous sommes interrogés : quelle est cette croix à prendre ? Le lot d’épreuves, de souffrances, de douleurs ont dit certains. Et c’est bien le sens que l’on entend souvent au détour des conversations : si quelqu’un porte sa croix, c’est qu’il n’est pas au mieux de son bonheur. La croix est pourtant le signe du baptême, et l’on ne marque pas un enfant avec un signe de malheur ! Lorsque nous faisons le signe de croix au début de la prière, nous ne nous écroulons pas sous la multitude des souffrances qui nous assaillent ! La croix est le signe de la victoire de l’amour et de la vie. Elle est le signe de la puissance de Dieu présent au cœur de notre existence. Elle est le signe de notre appartenance à l’amour infini de Dieu qui fait de nous ses enfants, ses filles et ses fils. Porter sa croix, c’est alors plonger toujours plus profondément à la source du mystère de notre baptême. C’est vivre totalement dans l’amour de Dieu. C’est se placer à la croisée entre l’amour de Dieu et l’amour des frères, la communion fraternelle et la communion divine. Porter sa croix est un chemin non de souffrance, mais de vie épanouie parce que totalement donnée, à l’image de ce que le Christ fait de sa vie.
Là est notre foi, là est notre art de vivre. Ce don de soi par amour ne peut être qu’un chapitre de catéchisme ou qu’une dimension spirituelle à vivre dans la prière. Il se vérifie par notre façon d’être au monde et de nous y engager. « La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte », disait la Lettre de Saint Jacques. « Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. » Notre engagement solidaire, social, relationnel, professionnel, familial, citoyen, est le lieu de témoignage et de vérification de notre foi et de notre suite du Christ. Le lieu où notre réponse à la question de Jésus est vérifiée : suivons-nous un candidat à la présidentielle ou le Messie qui donnera sa vie par amour pour tous ? « Pour vous, qui suis-je ? » Notre réponse est là, dans les œuvres que nous réalisons, dans nos actions quotidiennes. C’est d’ailleurs bien souvent le lieu, pour ceux qui nous observent, de crédibilité ou de décrédibilisation. Le lieu où l’espace entre ce que nous croyons et prêchons, et ce que nous faisons rend témoignage, ou non. Le lieu où notre foi est vue comme une coquille vide, voire une hypocrisie, ou comme un enracinement dans la plénitude de la vie de Dieu qui ouvre à l’amour pour tous.
En méditant cette page d’évangile, j’avais envie de répondre à Jésus en lui retournant la question : « Et pour toi, Jésus, qui suis-je ? Qui sommes-nous ? » Et de l’entendre répondre, pour chacune et chacun de nous, pour Lola tout particulièrement aujourd’hui : « Tu es celui que mon cœur aime et en qui je mets toute ma confiance pour marcher à ma suite, en Eglise, en communauté chrétienne, et pour devenir signe de la puissance de l’amour du Père, pour transformer le monde en vivant de cet art de vivre qui consiste à donner sa vie par amour et en devenant serviteur dans la confiance, la justice et la vérité. »
Par cette eucharistie, entrons sans cesse dans cette réalité de Dieu qui se présente à nous à l’encontre de toutes nos images et nos pensées toujours trop humaines, et demandons-lui d’apprendre par le Souffle de son Esprit à mettre nos pas dans les siens.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Une réponse sur « Homélie du 12 septembre 2021 par le P. Benoît Lecomte »
[…] Voici déjà l’homélie de ce dimanche et de la messe préparée et animée par les jeunes (qui, semble-t-il, leur donne envie de […]