« Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?»
Cette interrogation de Jésus donne une dimension dramatique au récit que nous venons d’entendre. Si bien que la joie de la guérison passe presque au second plan. En effet, ce que l’on retient, ce n’est pas tant la guérison qui permet à dix hommes de réintégrer leur communauté mais cette question qui sonne comme un reproche : « les neuf autres, où sont-ils ? »
D’ailleurs, on se demande un peu à qui Jésus la pose. A ce Samaritain, qui est le seul à faire demi-tour pour se jeter à ses pieds ? A ses apôtres, qui sont là comme simples spectateurs de cette scène inouïe ? Ou bien à nous, lecteurs du XXIème siècle, qui vivons nous aussi dans un territoire entre la Galilée des nations païennes et la Samarie des croyances excentriques.
Puisqu’elle semble si centrale, je vous propose ce matin que l’on prenne au sérieux cette question de Jésus… car il me semble qu’elle nous permet de faire un pas de plus que la semaine dernière, ou plutôt qu’elle vient compléter l’enseignement que Jésus veut dispenser à ses apôtres.
En effet, souvenons-nous que Jésus avait été un peu sec avec eux. Alors qu’ils lui demandaient de faire grandir leur foi, il les avait refroidis en leur demandant plutôt de se mettre humblement au service de la mission. Cette semaine, c’est presque l’inverse. Jésus se montre particulièrement libéral en distribuant sa puissance sans compter. Ici, à dix lépreux qu’il ne connaît même pas mais qui implorent sa pitié. Jésus n’attend rien de plus de ces pauvres hommes. Il les guérit, moyennant leur foi en sa Parole et leur conformation à la Loi de Moïse qui consiste à « se montrer aux prêtres », seuls habilités à officialiser leur pleine guérison.
Ainsi, à la question : « les neuf autres, où sont-ils ? », on a envie de répondre à Jésus… qu’ils sont exactement là où il les a envoyés ! Ils ne font qu’obéir à sa demande ! Ils sont aller se montrer aux prêtres pour vivre à nouveau leur vie au sein du Peuple de Dieu.
Mais, on le comprend vite, ce n’est pas cela qui intéresse Jésus. Il veut que ses apôtres en prennent conscience. Ce qu’il attend d’eux, ce n’est pas une petite vie bien tranquille au sein du peuple des élus mais l’attitude de ce Samaritain qui, en raison de son inculture, ne voit pas du tout le sens d’aller se montrer aux prêtres… Ou plutôt qui ne voit pas le sens d’aller se montrer à CES prêtres. Car il comprend intuitivement que Jésus n’est pas un simple Prophète capable de guérir la lèpre comme Elisée mais LE grand prêtre de l’Alliance nouvelle. Et c’est pourquoi il revient sur ses pas. Et par là, de manière tout à fait inattendue, lui seul assure la mission du Peuple d’Israël : « rendre gloire à Dieu à pleine voix » et ainsi recevoir, au nom de tous, le salut. « Relève-toi et va, lui dit Jésus, ta foi t’a sauvé ».
Oui, dix hommes ont été purifiés ! Les Juifs comme les Samaritains. Tous ont reçu de Dieu la force de la guérison. Mais un seul a été vraiment « sauvé », celui qui a reconnu que Jésus est le vrai Sauveur.
Je crois que cela nous amène, chers frères et sœurs, à une interrogation sur notre pratique de la Loi et sur la profondeur de notre foi. Pour le dire avec les mots de l’évangile de ce jour, Jésus nous interroge nous aussi : à quelle catégorie appartiens-tu ? A celle des neuf qui se contentent de se conformer à la Loi pour être guéris ? Ou à celle de cet homme qui vient se jeter à ses pieds pour recevoir le salut ?
Alors, attention, ne me faites surtout pas dire ce que je n’ai pas dit ! Mon homélie n’a absolument pas pour but de vous dire qu’il ne sert à rien de se conformer à la Loi à partir du moment où l’on se jette aux pieds de Jésus. Cela serait dangereux, car à bien des reprises, Jésus rappelle lui-même l’importance de la Loi pour vivre en communion avec lui. Cependant, il nous invite à réfléchir sur la manière dont nous la pratiquons. Qu’y a-t-il y a derrière cette pratique ? Une simple habitude ? Une solution de facilité pour nous éviter d’exercer notre liberté ? Un code social ? Ou alors, est-ce un moyen réel et efficace de communier à sa volonté ? Et ainsi découvrir, nous aussi, qu’il est notre Sauveur. Car, d’une manière très intuitive, ce Samaritain a lui aussi respecté la Loi, en reconnaissant que Jésus est un prêtre d’un genre nouveau, réalisant une alliance nouvelle.
De ce point de vue, chers frères et sœurs, je crois que les temps que nous vivons nous permettent de contempler et d’expérimenter ce qui est en jeu ici grâce aux nombreux catéchumènes qui ne cessent de frapper à la porte de l’Eglise.
Eux aussi, comme ce Samaritain, n’ont souvent pas les mots ni la connaissance de la loi de l’Eglise. Ils sont souvent hors des sentiers battus tant sur le plan culturel que religieux. Mais ils témoignent tous de la même attraction qu’exerce Jésus à leur encontre. Comme ce Samaritain, ils savent intuitivement que Jésus, le Fils unique de Dieu, est le seul à pouvoir les sauver véritablement. Non pas simplement de leurs blessures, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sociales, mais à la racine même de leur être. Ils se sentent appelés, attirés vers ce salut.
Vous croyez que j’exagère ? Je vous invite à vous faire votre propre opinion en écoutant leurs témoignages ! Le Seigneur, d’une manière que lui seul connaît, attire à lui qui il veut, comme il veut… et il nous demande à nous, qui faisons peut-être partie des neuf autres plus installés, d’être là pour les accueillir dans leur singularité et les intégrer dans le Corps du Christ.
Chers frères et sœurs, voilà un motif de prière pour cette journée et cette semaine.
D’abord une action de grâce pour le salut qui est offert gratuitement à tout homme. Tous, nous sommes purifiés par le baptême dans le Christ. Tous, nous sommes sauvés par la venue du Verbe en ce monde, par sa mort et sa Résurrection. Et tous, nous sommes appelés à la sainteté. Une sainteté qui consiste à reconnaître que Jésus est l’unique grand Prêtre, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes pour en vivre par chacun des actes de notre vie.
Et puis de prier pour les nombreux catéchumènes qui ne cessent de nous déplacer par leur foi fragile et puissante. A leur exemple, jetons-nous aux pieds de Jésus pour lui rendre gloire ! Jetons-nous aux pieds de Jésus pour nous laisser sauver. Amen.
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