Homélie de la nuit de Noël, 24 décembre 2022, par le P. Benoît Lecomte

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 24 décembre 2022

Il y a d’un côté la logique de l’empereur Auguste. C’est la logique du recensement : il faut compter et se compter. Combien nous nous retrouvons dans cette logique ! Nous passons notre temps à compter : les points d’indices de la bourse, les pourcentages de l’inflation, le nombre de contaminés par le Covid ou la grippe, les postes manquants, les heures de récupération, les morts dans les conflits, le nombre de féminicides, le nombre de 49.3, de sympathisants d’un côté ou de l’autre, les degrés de trop en été, ceux manquant en hiver, la taille des missiles envoyés de part et d’autre, les quotas de céréales, les réserves de gaz ou de pétrole, le nombre d’espèces menacées, les trimestres pour la retraite, les vies dans les jeux vidéo. Nous faisons des moyennes générales des bulletins de notes à chaque trimestre, des plans comptables. Il nous arrive même de trembler en comptant des penalties sur un terrain de foot. En Eglise aussi, nous comptons. On me demandait récemment combien il y avait de paroisses dans notre doyenné, mais aussi de communes, et le nombre de messes célébrées par week-end. On compte les catéchumènes, les mariages, les baptêmes et les obsèques, le nombre de pratiquants ou de non-pratiquants (sans trop savoir comment définir ces catégories), et même le nombre d’anges dans le ciel (innombrable, nous dit l’évangile). On compte et on se compte… logique du recensement. En espérant avoir le meilleur chiffre… souvent le plus gros, le plus visible, le plus frappant. Nous sommes pris dans cette logique, parfois à raison, parfois à tort. Joseph et Marie y sont aussi soumis, eux qui vont à Bethléem, pour se faire recenser.

Et il y la logique de Dieu : la logique de la vie. La vie naissante. L’engendrement. Discret. Quasi invisible. Mais puissant, ô combien. La vie qui jaillit, du milieu des chiffres et des comptes et des stratégies, au milieu des « bruits de bottes et des manteaux couverts de sang », pour reprendre les mots d’Isaïe, au milieu de la nuit. Surgissement de Dieu, en un nouveau-né. Voici Dieu. Voici l’Homme. « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » : « Elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire. » Sobriété des mots. Et tendresse. Douceur. Paix. Tout est dit. Chamboulement d’une mère donnant naissance, pleine de crainte et de confiance, d’inconnues et d’espérance. L’événement prend tout l’espace. Le temps s’est arrêté dans la course du monde. Plus étonnant encore : l’éternité a pris place dans le temps. L’Eternel entre dans notre finitude. Révélation nouvelle. Toute naissance est nouvelle, celle-là est autrement unique : c’est Dieu qui naît en l’Homme – Dieu naît en nous. Avec lui, plus de compte, plus de marchandage – ni entre nous, ni avec Dieu. Avec lui, seule la vie compte – et la vie ne se réduit à aucun chiffre, elle est événement, jaillissement, force, dynamisme, aventure. Avec lui, elle est amour – et quand on aime, on ne compte pas.

            Cette grâce, nous dit Saint Paul, « nous apprend à vivre dans le temps présent de manière raisonnable. » Ne l’entendons pas avec nos catégories trop comptables, mais plutôt dans l’ajustement de notre vie à la logique divine. Selon la raison de Dieu, qui n’est qu’amour irraisonnable. Apprendre à vivre selon la logique de l’Incarnation, de la fête de Noël que nous célébrons cette nuit, c’est apprendre à vivre selon la logique de la Vie divine présente en toute humanité, depuis que Dieu est venu partager notre existence humaine. Apprendre à vivre non plus de manière comptable, mais dans le jaillissement permanent de la vie se révélant à moi en chaque être humain rencontré ou lointain. Dans l’action de grâce de l’accueil de celui qui vient à moi – comme visage de Dieu se mettant à ma portée et se donnant à moi.

            Imaginez ce que cela pourrait donner, si nous prenions au sérieux, de « manière raisonnable », la nouvelle de Noël. Imaginez ce que cela pourrait donner dans notre rapport aux migrants, aux mourants, ce que cela pourrait changer entre les plus grands et puissants de ce monde et les plus petits et les plus pauvres. Imaginez ce que cela pourrait transformer dans notre entourage, dans nos familles, dans nos cercles de relations, entre nos pays, dans notre façon de vivre ensemble et avec tout le vivant présent dans l’immensité de la création… si la logique du recensement laissait place à la logique de la vie jaillissante, de la joie de l’accueil, de l’attention à nos fragilités… si un nouveau-né donnait le « la » à notre façon de vivre.

            Cela n’est pas une utopie. C’est pour cela qu’il « s’est donné pour nous », « pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien », continue Saint Paul. C’est cela que nous célébrons en cette nuit de Noël. Point de départ, s’il en était besoin, d’une transformation radicale de nos cœurs et de nos êtres, de notre monde. C’est ce que nous avons voulu nous entraîner à vivre durant notre temps d’Avent, en nous invitant les uns les autres pour partager le repas et l’évangile, pour expérimenter en ces rencontres le jaillissement de la vie d’au-delà de nous. Pour découvrir Dieu, en son incarnation, présent au-milieu-de-nous. N’arrêtons pas cet entraînement, cette transformation intérieure progressive.

            « Sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse. » Que cette joie et cette allégresse emplissent toute notre vie à l’annonce de la naissance de Jésus, le Sauveur, Dieu en un Enfant… Dieu à visage d’Homme pour qu’en tout Homme nous découvrions le visage de Dieu… Toujours présent, sans compter.

            Amen.

P. Benoît Lecomte

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