Chers frères et sœurs,
Comme il était facile, hier, de vous parler de la sainteté… Non pas que j’en ai une grande connaissance personnelle, malheureusement, mais il faut avouer que c’est une notion biblique qui nous est plutôt familière.
Aujourd’hui, c’est une autre paire de manches. Car, la mort est un mystère… pas seulement au sens théologique du terme, mais aussi au sens courant. La mort est mystérieuse. Et le nombre d’obsèques célébrées n’y fait rien ! La meilleure option est souvent de ne pas trop parler pour laisser à chacun le temps de s’accoutumer à son contact inéluctable.
Pour autant, bien que le sujet soit des plus sensibles, on attend souvent du prêtre qu’il ait une parole. Une parole pour éclairer ce qui est sombre, pour affermir ce qui est chancelant et pour apaiser ce qui est douloureux. C’est pourquoi, ce matin, je me permets de vous partager cette petite réflexion à partir des passages bibliques que nous venons d’entendre.
Ce qui me marque particulièrement aujourd’hui, c’est que la Parole de Dieu, sans dépersonnaliser le mystère de la mort, l’aborde d’emblée d’un point de vue communautaire. Ce qui est à des années-lumière de l’angle habituel choisi par notre société.
En effet, je crois que l’on peut dire sans trop se tromper que la seconde moitié du XXème siècle a cherché à individualiser notre manière de vivre. « C’est MA vie » ; « c’est MON corps » ; « c’est MON choix » a-t-on beaucoup entendu pour affirmer la liberté individuelle. Et c’est assez naturellement que cela s’est étendu à la mort. Aujourd’hui, en grande partie grâce à la technique médicale, on peut aussi « choisir » sa mort. Décider du moment, des conditions ou encore de la manière dont on veut que notre corps soit conservé. En réutilisant les mots de saint Paul, beaucoup veulent non seulement vivre pour eux-mêmes, mais aussi mourir pour eux-mêmes. Ce qui renverse la perspective biblique.
Alors loin de moi de stigmatiser qui que ce soit. Car comme je le disais il y a quelques instants, la mort est un mystère dont il faut parler avec prudence. Cependant, remarquons que la Parole de Dieu, elle, vient pour le moins interroger… mais je pense plutôt contredire cette individualisation de la mort.
Partons de Saint Paul. L’apôtre n’ignore pas la dimension personnelle de la mort, concluant même en disant que chacun rendra compte à Dieu pour lui-même. Cependant, dans le passage que nous venons d’entendre, il montre aux Romains que l’homme, plongé dans le baptême avec le Christ, ne s’appartient plus totalement. « Dans notre vie comme dans notre mort, nous dit-il, nous appartenons au Seigneur ». Non pas comme une chose dont le Seigneur pourrait faire ce qu’il veut, mais parce qu’il est « le Seigneur et des morts et des vivants ». Voilà une première brèche dans l’individualisme de notre temps. Ma vie, mon corps, ma mort sans cesser de me personnaliser, appartiennent à un autre qui a le pouvoir de les transformer.
Le Prophète Isaïe nous permet de faire un pas de plus. Car dans le chapitre 25 que nous entendions à l’instant, ce dernier parle de la mort comme d’un festin préparé par le Seigneur pour « TOUS les peuples ». Et il ne se paye pas de mots pour le décrire. Dieu fera disparaître « le linceul qui enveloppe TOUTES les nations », il « essuiera les larmes sur TOUS les visages ». Et nous remarquons bien vite que toutes les propositions sont au pluriel, y compris sa compréhension du salut puisque le prophète répète à deux reprises : que Dieu « nous a sauvés »… avec un « nous » qui semble élargir la miséricorde au-delà des limites du Peuple des élus.
Cet équilibre, chers frères et sœurs, entre les dimensions personnelle et communautaire de la mort, trouve une expression encore plus aboutie dans l’évangile de ce jour. En particulier avec cette image à la saveur particulièrement johannique : « Dans la maison du Père, dit Jésus, il y a de nombreuses demeures ». Autrement dit, en Dieu, chacun a sa place. Chacun est invité à vivre la mort comme un passage entre la vie terrestre et la vie en plénitude où nous sommes attendus. Mais pour y accéder, TOUS doivent emprunter un unique chemin. « Personne ne va vers le Père sans passer par moi » dit Jésus. Car « je suis le chemin, la vérité et la vie ».
Alors, évidemment, ce chemin qui conduit au Père est large. Et le Papou qui n’a jamais entendu parler du Christ n’emprunte certainement pas les mêmes carrefours que la moniale qui a consacré sa vie par amour. Cependant, tous, le Papou, le catéchumène, le jeune des quartiers nord de Marseille comme la moniale, sont appelés au même salut dans le Christ Jésus.
Comment ? En étant intégrés à la même construction, au même Corps, à la même Eglise dont les contours dépassent la simple visibilité. De nombreux passage de Lumen Gentium pourraient éclairer ce propos, vous me pardonnerez de n’en citer qu’un pour nourrir notre méditation : « À travers les formes diverses de vie et les charges différentes, il n’y a qu’une seule sainteté cultivée par tous ceux que conduit l’Esprit de Dieu et qui, obéissant à la voix du Père et adorant Dieu le Père en esprit et en vérité, marchent à la suite du Christ pauvre, humble et chargé de sa croix, pour mériter de devenir participants de sa gloire » (LG 41).
Autrement dit, CHACUN est invité au même festin ; TOUS peuvent y accéder en passant par le Christ et NOUS, chrétiens, recevons la mission particulière d’être les témoins de l’amour de Dieu qui permet d’entrer dans ce mystère de la mort qui nous dépasse.
Je suis évidemment bien incapable, chers frères et sœurs, de tirer toutes les conséquences d’une telle approche biblique. D’ailleurs, je ne m’y risquerai pas. Je me contenterais cependant de m’en faire le porte-voix sous la forme d’une question que chacun pourra se poser en lui-même : Comment est-ce que j’aborde le mystère de ma mort ? Est-ce que je la considère comme une décision qui me revient ? Comme un mystère qui n’engage que moi ? Ou est-ce que j’arrive à la remettre entre les mains du Christ pour qu’il en fasse le lieu d’une mystérieuse fécondité pour l’Eglise et pour le monde ?
Jésus se présente à nous ce matin comme le Seigneur des morts et des vivants. Il est la Tête dont nous sommes les membres. Il est la pierre angulaire sur laquelle nous sommes construits. Et sans vraiment comprendre, ni même chercher à expliquer ce qui est par nature inexplicable, il veut faire de la mort un passage vers la vie en plénitude dans la communion des saints.
C’est évidemment ce que nous espérons pour tous les fidèles défunts dont nous faisons aujourd’hui mémoire. Et c’est la raison pour laquelle nous sommes invités à prier pour chacun d’entre eux, confiants dans le Christ, mort et ressuscité ; confiants dans l’Eglise qui conduit ses enfants vers la maison du Père. Amen.






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