« Je ne connais pas cet homme ! » Le cri de Simon-Pierre transperce la nuit. Lâcheté au milieu de l’humiliation et du déchainement de haine et de violence. Trahison du meilleur ami, de celui qui avait tout reçu de Jésus. C’est bien la lecture que nous faisons de ces mots. Simon-Pierre est perdu, il a peur, son monde s’écroule, il cherche à sauver sa vie.
Vient alors une question : et si ce cri n’était pas celui de l’abandon, mais de la vérité crue, nue, froide ? « Je ne connais pas cet homme ! » Et on le comprend, Pierre. Il se rend compte à cette heure de la nuit, à ce moment de l’histoire, qu’il ne connaît pas Jésus. Il avait mis sa foi, son espoir, son espérance, sa confiance en Celui qu’il avait reconnu comme le Messie, le Christ. N’avait-il pas raison ? Ses relations avec Jésus n’avait pas toujours été bonnes, ils avaient eu quelques explications au cours des trois dernières années, mais la confiance réciproque était là, installée. Et Simon-Pierre en était sûr : Jésus allait réaliser la promesse de Dieu, rétablir les frontières d’Israël, chasser l’occupant romain, redonner sa beauté à la religion juive. Ses paroles l’avaient envouté, même si elles étaient parfois mystérieuses. Il avait tout quitté pour le suivre, sûr que Jésus allait s’imposer comme Maître et Seigneur.
Alors voir ce Maître se laisser aller ainsi à l’abandon, se laisser faire face à l’injustice, à la haine et au déchainement de violence, ne collait pas avec l’image qu’il attendait de la fin. Non, il ne reconnait pas cet homme. Ce n’est pas le Jésus qu’il a voulu suivre, en qui il a cru et mis sa confiance. Il n’a pas tout quitté pour en arriver là.
Renversement de l’histoire.
Jésus n’est pas tel que nous l’attendions. Dieu nous échappe toujours au moment où nous pensons l’attraper. Même sur la croix, ce n’est pas nous qui l’attachons, c’est lui qui se donne à nous. Le Tout-Puissant, l’Eternel c’était fait homme. Le voilà qui va jusqu’à donner sa vie. Celui qui disait vouloir nous délivrer se fait attraper et tuer. Crucifié entre deux malfaiteurs, en dehors de la ville, comme un paria. Echec de la mission, à vue humaine. Simon-Pierre a de quoi ne pas reconnaitre cet homme.
Il est pourtant l’homme qui nous révèle la Puissance de Dieu. Car là, mystérieusement, est sa Puissance – et c’est la seule véritable puissance qui puisse exister et dépasser toutes les autres – : aller jusqu’au bout de son amour pour nous. Aller jusqu’au bout, c’est aller jusqu’à descendre dans ce qui nous déshumanise – cette violence, cette haine, cette injustice, cette jalousie, cette peur. Descendre jusque dans la mort, « jusqu’aux enfers » dirons-nous dans le credo. Pour nous chercher jusque-là. Pour que jusque-là, nous ne soyons jamais seul, mais « Lui-avec-nous ». Pour que nous comprenions que jamais rien ni personne n’est foutu. Les images que nous pouvons avoir de Dieu éclatent en mille morceaux. Avons-nous l’habitude de parler à Dieu en levant la tête ? Peut-être. Mais il nous faut le faire non pas le regard vers le ciel, mais le regard vers la croix, et vers la terre, vers le tombeau scellé, dans l’espérance d’un matin de Pâques et d’une lumière jaillissant des ténèbres. La Puissance de Dieu ne s’imposera pas, jamais. Il sera toujours présent, et laissera sauve notre liberté : veux-tu me suivre jusque-là ? Jusqu’au bout ? Jusqu’à la croix ? Veux-tu me faire confiance jusque dans ce renversement radical ?
Les branchages que nous portons en mains veulent être le signe de cette confiance et de notre espérance. Oui, malgré ce que nous voyons autour de nous, malgré ce que nous vivons de parfois si douloureux ou insensé, nous voulons garder vive notre espérance. Malgré l’apparente absence de Dieu, nous croyons qu’il est là, encore et toujours, jusque dans les lieux les plus lointains, les plus absurdes, les plus inhumains. Qu’il est présent et que sa Puissance n’attend que notre confiance et notre foi pour se manifester, comme un certain matin de Pâques. Et croire que l’amour l’emportera, que la haine et la mort seront vaincues, qu’il aura le dernier mot, victorieux de tout mal. Et que par Lui, notre délivrance, celle du cœur et du péché, sera totale.
Nous ne connaissons pas cet homme, nous non plus. Impossible de le connaître totalement, lui vrai Dieu vrai Homme, lui mystère de Dieu venu nous aimer jusque dans la mort. Nous ne connaissons pas cet homme, mais nous lui offrons encore notre confiance et notre foi : après la croix, après la mort, après la nuit, la lumière renaîtra, la vie l’emportera.
Amen.
P. Benoît Lecomte
(Photos de la célébration : P. Dussauld)









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