Même si nous avons eu un mois d’hôpital et d’incertitude pour, pourquoi pas, nous préparer à une telle échéance, il y a de la stupéfaction à être réunis dans cette église ce matin, autour de Béatrice. Tous les signes sont là, mais nous n’osons pas croire, comprendre, consentir à cette réalité. C’est que Béatrice était trop vivante, pour que nous l’imaginions dans un cercueil. Quand la réalité s’impose à nous, la tristesse nous gagne, les larmes coulent, les souvenirs remontent à la mémoire. Mais là encore, ces souvenirs avec Béatrice nous projettent dans tant de lumière, de rire, d’amitié, de gentillesse, d’ouverture, d’attention, de bonté et de joie, que nous voilà transportés ailleurs.
Peut-être faut-il nous rendre à l’évidence, une évidence portée par la foi qui habitait Béatrice et que beaucoup ici partagent : la mort n’est pas la fin de tout, la vie est la plus forte. Il y a un temps pour tout, disait l’Ecclésiaste. Il y a un temps pour tout – et nous sommes convoqués malgré nous à vivre ce temps que nous vivons aujourd’hui et que nous n’attendions pas si vite – il y a un temps pour tout, mais l’Amour demeure.
Que l’on s’entende : il ne s’agit pas de vivre indéfiniment dans des souvenirs, aussi joyeux soient-ils. Les souvenirs, malheureusement, s’estompent avec le temps et les générations. Ils ne demeurent pas. Non, ce qui demeure, ce ne sont pas les souvenirs, c’est l’amour, tel que nous en parle Jésus dans l’évangile. « Demeurez dans mon amour comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. » Pour que « sa joie soit en nous, et que notre joie soit parfaite », continue-t-il. L’Amour qui fait de nous non pas des serviteurs, mais des amis de Jésus, et qui nous ouvre à tous ceux que nous croisons, avec qui nous vivons, dans une joie parfaite.
Sûrement – et nous l’avons entendu au début de cette célébration – Béatrice était de ces amis de Jésus. En elle, l’Amour a débordé pour rejoindre et accueillir chacun, pour vivre avec courage et confiance les épreuves qu’elle a dû traverser, pour garder la joie et la simplicité qui touchaient le cœur de ceux qu’elle rencontrait, pour réussir à s’émerveiller toujours. Et le nombre que nous sommes ce matin, rassemblés autour de Béatrice, n’est-il pas le signe de tous les fruits que cet Amour a donné par elle tout au long de sa vie ? « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure », disait encore Jésus.
Cet Amour-là, plus fort que les souvenirs, puisé dans l’Amour de Dieu, n’a pas de fin. Quand Jésus dit ces mots de l’évangile à ses disciples, il est au soir de son arrestation, à quelques heures de sa mise en croix. Mais la mort n’aura pas le dernier mot. Au matin de Pâques, le tombeau sera vide et ses disciples comprendrons qu’il est ressuscité. Que la vie l’a emporté sur les forces du mal et de la mort, que l’Amour de Dieu est victorieux du monde et de toutes les autres forces dans l’univers.
Tout ce dernier mois, nous avons espéré. Aux bips des moniteurs, nous avons espéré une issue autre que celle qui nous rassemble aujourd’hui. Mais avec sa joie et la vitalité qu’on lui connait, Béatrice nous convoque aujourd’hui à une autre espérance, bien plus grande, bien plus forte encore, et qui ne déçoit pas : celle de vivre avec le Christ ce passage par la mort, pour ressusciter avec lui et vivre encore, d’une façon nouvelle et bien réelle. Telle est l’espérance à laquelle nous sommes invités, dans la foi et la confiance. Une espérance plus grande qu’un simple espoir : une espérance qui ouvre notre cœur à une paix et une joie, celles que Béatrice connaît désormais. Notre Eglise universelle, toute cette année jubilaire, a pris pour thème de nous encourager à devenir des « pèlerins d’espérance ». Béatrice aura vécu jusqu’au bout ce pèlerinage, non seulement pour elle mais, j’en suis sûr, pour que nous aussi nous mettions nos pas sur ce chemin d’espérance, où que nous en soyons de notre vie et de notre foi. Et que si la tristesse de la séparation nous envahit, de façon légitime et normale, notre cœur puisse être en paix et respirer de la joie que Béatrice nous a transmise et nous transmets encore, de là où elle est.
Il y a un temps pour tout. Demain, nous célèbrerons l’Ascension de Jésus au ciel, 40 jours après Pâques. Béatrice vit aussi ce temps de l’Ascension, qui la rapproche de Dieu le Père sans lui faire quitter nos cœurs et nos vies. N’ayons pas peur de lui demander, de là où elle est, de nous accompagner sur nos chemins de vie et de foi. De continuer de nous transmettre ce qu’elle nous a toujours transmis, et qui a marqué son être-au-monde et toute sa façon de vivre. Entrons avec elle dans cette espérance qui ne déçoit pas : l’Amour demeure.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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