Dehors, il fait nuit. Et peut-être fait-il nuit aussi dans nos cœurs et dans nos vies, depuis que nous avons perdu un proche : un ami, un frère, une sœur, un parent, un enfant. Nous savons que « toute vie doit finir ». Autre chose est de faire l’expérience du départ, de la disparition, de l’absence, du vide. Du manque. La voix, le visage, le regard, les mains, les expressions, les souvenirs restent à notre mémoire, mais cela ne nous suffit pas. Notre désir n’est pas là, il est ailleurs, plus profond, plus grand : nous désirons continuer à vivre quelque chose avec ceux qui sont décédés. Nous savons qu’ils devaient partir un jour, mais nous voudrions qu’ils soient encore là, avec nous.
Notre présence en cette église ce soir nous raccroche à leur souvenir. Mais elle est aussi le signe d’une foi et d’une espérance. L’espérance que les défunts n’ont pas totalement disparu de nos vies, l’espérance que l’amour de Dieu est plus grand que ce que nous pouvons en voir, l’espérance en une résurrection que Jésus promet en obéissance à la parole du Père.
Tout, dans la Parole de Dieu reçue ce soir, nous fait entrer dans cette espérance. « Aux yeux de l’insensé, ils ont paru mourir ; leur départ est compris comme un malheur, et leur éloignement comme une fin : mais ils sont dans la paix », disait le Livre de la Sagesse. « Les morts ressusciteront, impérissables, et nous, nous serons transformés », annonce Saint Paul en rappelant la promesse de l’Ecriture : « Ô mort, où est ta victoire ? Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ. » Et ce même Jésus déclare dans l’évangile : « Telle est la volonté de celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. »
Cette Parole nous dit que notre vie est plus grande que ce que nous en voyons, parce qu’elle est blottie dans l’Amour infini de Dieu. La mort fait parti des événements inéluctables de toute vie, mais elle n’est pas la fin de tout. Parce que, blottie dans l’Amour de Dieu, notre vie ne s’arrête à rien, sauf à notre péché, à notre refus libre et volontaire d’aimer. Mais l’Amour de Dieu, qui va jusqu’au pardon, emporte tout sur son passage. Par la résurrection de Jésus, Dieu a ouvert une brèche dans le mur de la mort. Dans cette brèche, la vie s’est engouffrée. La vie de Jésus, et avec lui notre vie, et la vie de tous ceux que nous aimons et que nous avons aimés.
Il y a, dans l’événement de la mort, une puissance capable de nous dévaster. Il y a, dans l’événement de la résurrection, une puissance plus grande encore, capable de tout faire renaître. D’une façon nouvelle, autre, mystérieuse, sûrement, mais bien réelle.
Nous avons célébré hier la fête de la Toussaint. Cette fête dit la communion que nous pouvons vivre entre tous les disciples de Jésus qui ont mis, au cours des siècles, leurs pas dans ceux du Christ et qui ont voulu apprendre de lui à aimer. Une communion, donc, qui va au-delà de ceux que nous voyons de nos yeux, mais qui embrasse tous les temps et tous les lieux. Notre célébration, au lendemain de la fête de la Toussaint, nous invite à vivre intérieurement cette même communion avec celles et ceux qui ont vécu le grand passage et qui sont entrés dans la Lumière éternelle du Père. Et ce ne sont pas que des mots. Nous pressentons, à l’intime de nous-mêmes, qu’une présence nouvelle, une relation nouvelle peut naître avec ceux qui nous ont précédés. Il ne s’agit pas de notre imagination, ou de notre désir exacerbé. Il s’agit d’une réalité mystérieuse que nous touchons du doigt : oui, les défunts vivent encore dans l’éternité de Dieu. Ils ont comme un « avenir », leur vie n’est pas terminée. Plus encore, elle est déployée à l’infini, puisque pleine de la capacité d’amour de Dieu.
L’eucharistie que nous célébrons ne manifeste pas autre chose. Elle n’est pas uniquement le partage entre nous du Corps du Christ, elle n’est pas uniquement la communion à la Présence du Christ. Elle est aussi communion avec tous ceux que nous aimons et qui participent, pleinement, à la vie divine.
Il fait nuit, dehors. Mais notre nuit intérieure s’illumine. Nous comprenons que la vie est plus forte, que la victoire de Jésus, en sa résurrection, a été totale, et qu’il a emporté dans son sillage toutes nos vies. Nous comprenons que l’événement de Pâques est ce passage que nous sommes tous appelés à vivre, avec la force du Seigneur, et que ce passage, s’il nous arrache à la présence terrestre, nous emporte dans une présence toute d’Amour divin, dans un présent d’éternité divine.
Demandons à ceux qui nous ont précédés dans la Lumière de la résurrection de nous accompagner, encore, sur nos chemins de vie, et de nous apprendre à aimer comme ils connaissent désormais l’Amour. Demandons au Seigneur la grâce de la paix et de l’espérance en nos cœurs, pour entrer en communion avec tous ceux que nous aimons encore. En cette eucharistie, célébrons joyeusement la résurrection du Seigneur, qui ouvre nos vies et nos existences à infiniment plus que ce que nous imaginons, et rendons grâce à Dieu pour l’action de sa puissance en nos vies.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Homélie pour les défunts, 2 novembre, par le P. Benoît Lecomte
Barbezieux - Baignes - BarretPublié le 3 novembre 2024
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