Quel contraste, chers frères et sœurs, entre la joie des lectures d’hier et la gravité de celles que nous entendons ce matin ! On a presque l’impression que l’Eglise nous fait faire un grand écart en passant sans transition du « Gloire à Dieu » des anges au Prologue de l’évangile de Jean dont la solennité n’a d’égal que sa profondeur théologique. D’ailleurs, hier soir, nous étions très nombreux à faire la fête ensemble à Baignes et à Barbezieux. Ce matin, c’est le « petit reste » qui vient plonger dans cette autre facette du mystère de Noël. Une facette certainement plus intérieure, mais aussi plus difficile à saisir. Ma question, ce matin, est donc toute simple : pourquoi l’Eglise nous invite-t-elle à un tel déplacement ? Pourquoi la liturgie, sans cesser d’être joyeuse, mêle à notre joie une forme de gravité ? Je crois que la réponse à cette question est inhérente à la nature du mystère que nous célébrons. Un mystère particulièrement bien synthétisé au cœur du Prologue que nous venons d’entendre : « Le Verbe était la vraie lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. (…) Mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu ». Il y a dans ces phrases une sorte de balancement. D’un côté, l’extension universelle du salut : « le Verbe est la lumière qui éclaire TOUT homme », et de l’autre, la réalité du monde qui ne reconnait pas son Créateur et donc qui ne l’accueille pas à sa juste valeur. Elle est là, chers frères et sœurs, l’ambivalence que le chrétien vit – souvent avec douleur – et qui teinte sa manière de célébrer Noël. Dieu se donne tout entier à un monde qui, bien souvent, ne le reconnait pas… et donc ne le reçoit pas. Face à un tel constat, la première attitude serait peut-être d’être désabusé, découragé. Et c’est malheureusement parfois ce sentiment qui gagne les chrétiens dont le message n’est pas entendu. Mais force est de constater, que ce n’est pas DU TOUT l’attitude de Dieu. En venant dans le monde qu’il a lui-même créé, il savait ce qui l’attendait ! Et cela ne l’a pas arrêté, bien au contraire. Il en a même fait une opportunité : « à tous ceux qui l’ont reçu, poursuit saint Jean, le Verbe a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom ». Voilà, chers frères et sœurs, ce qui est pour nous motif d’espérance. Non pas une espérance éthérée, inconsciente de la réalité du monde, mais une espérance fermement ancrée dans le désir de Dieu de sauver CE MONDE-CI, avec ses contradictions et ses faiblesses. Et comment veut-il opérer une telle œuvre ? En plongeant entièrement dans cette réalité ; en s’unissant si intiment à notre chair qu’elle devient la sienne. « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous ». Voilà, chers frères et sœurs, ce qui est au cœur du mystère de Noël. Dieu n’a pas voulu nous sauver de l’extérieur, comme un superhéros qui ne fait que toucher du doigt pour un instant la misère d’un monde. Il s’est engagé lui-même DANS CE MONDE en devenant vraiment homme sans cesser d’être Dieu. Et c’est ainsi que nous devenons à notre tour « enfants de Dieu », en partageant avec le Fils éternel ce qu’il y a de plus temporel, en estimant notre vie digne de Dieu puisqu’il a voulu s’en saisir pleinement. Parce que Dieu a partagé la vie de l’homme, l’homme peut à son tour espérer partager la vie de Dieu. C’est pourquoi l’évangéliste poursuit : « tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ». On comprend ainsi mieux encore la gravité et la solennité de ce jour de Noël. Elles ne sont pas uniquement liées au refus du monde. Elles sont aussi et surtout les conséquences du fait que Dieu nous donne part à « SA plénitude ». Il nous donne ce qu’il a de plus précieux puisqu’il SE DONNE LUI-MÊME, il S’ENGAGE LUI-MÊME dans ce monde qu’il vient habiter de l’intérieur. Et cela transforme nécessairement notre vie. Car si Dieu a TOUT assumé, alors TOUT peut désormais être vécu comme une ouverture à SA propre vie. Notre cœur tortueux, notre corps abîmé, notre liberté blessée, TOUTE NOTRE HUMANITÉ est embrassée par Dieu ! Il est venu se glisser dans n’importe quel interstice pour TOUT sauver en nous. Alors, chers frères et sœurs, n’ayons pas peur de l’obscurité qui assombrit notre monde ! N’ayons pas peur de l’obscurité qui habite notre cœur ! Dieu veut s’y plonger sans ménagement, à condition que nous consentions librement à nous laisser saisir part son amour. Alors en ce jour de Noël, laissons-nous saisir par sa grâce ! Laissons-nous transpercer par sa lumière ! Laissons-nous aimer par l’Emmanuel, le Dieu qui désire nous sauver en demeurant au milieu de nous ! Amen.
Homélie du jour de Noël, par le P. Maxime Petit
Barbezieux - Baignes - BarretPublié le 26 décembre 2024
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