Homélie du dimanche 8 septembre par le P. Maxime Petit

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 8 septembre 2024

          Ce dimanche, chers frères et sœurs, saint Marc nous fait du grand saint Marc… ou plutôt Jésus nous fait du grand Jésus ! Il pose un acte très fort, un acte messianique par excellence en faisant une guérison miraculeuse, et aussitôt, il demande à tous ceux qui entourent le miraculé de ne le dire à personne. Aujourd’hui, c’est plus frappant encore parce que Jésus guérit un sourd-muet ! « Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, nous dit l’évangile, et il parlait correctement. ALORS Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ». Cela paraît absurde. L’homme peut enfin entendre, il peut enfin parler… et Jésus lui demande de se taire ! C’est à n’y rien comprendre…

          Saint Marc est un spécialiste de ce genre de retournement. En particulier lorsqu’il s’agit de guérisons opérées par Jésus. C’est ce que l’on appelle en exégèse le « secret messianique ». Je vous propose ce matin que l’on creuse un peu cette question : pourquoi Jésus demande-t-il à ses disciples de ne pas révéler son identité ?

          Pour le comprendre, je crois qu’il faut que l’on se penche un peu sur la structure globale de l’évangile. Car, si on y regarde de plus près, on se rend compte que ces demandes de Jésus sont concentrées dans sa première partie, au début de la vie publique. Cela s’arrête au moment où Jésus interroge ses apôtres par cette question que l’on connaît par cœur : « pour vous, qui suis-je ? » et surtout après réponse de Pierre : « Tu es le Christ ».

          Dans l’évangile de Marc, c’est le point de départ d’un nouveau chapitre. A partir de cette réponse, Jésus va commencer à annoncer sa Passion, sa mort et sa résurrection. Il va même dévoiler ouvertement son identité divine en étant transfiguré. A partir de cette profession de foi de Pierre, centrale dans l’évangile, l’attitude de Jésus va changer. Maintenant que ses apôtres ont suffisamment vécu à ses côtés au point que l’un d’entre eux le désigne comme le Messie, Jésus peut passer à une nouvelle étape de la révélation, à l’étape cruciale, sans mauvais jeu de mots.

          En saisissant cette progression, chers frères et sœurs, on commence à comprendre les raisons de ce « silence messianique » imposé aux démons et aux miraculés.

La première, c’est que Jésus a besoin de temps pour sillonner la terre sainte et opérer les actes qui le désignent comme le Messie. Si la révélation de son identité avait été trop rapide, il n’aurait pas eu le temps d’habiter pleinement cette mission. On en a un parfait exemple dès le premier chapitre de l’évangile lorsque Jésus guérit un lépreux à qui il dit demande de rester discret. Malheureusement, saint Marc poursuit, « une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts ». L’aura de Jésus provoque la jalousie des uns, l’hystérie des autres… et cela l’empêche d’aller au contact des sourds, des muets, des boiteux, des aveugles et ainsi accomplir les Ecritures.

Cette première raison nous conduit à une seconde, plus fondamentale encore. Si Jésus demande de ne pas dévoiler son identité au début de son ministère public, c’est parce que l’accueil d’une telle révélation demande d’être accueillie progressivement en raison de son caractère inouï. Ce n’est pas une vérité directement accessible. On ne peut accueillir cette révélation que si l’on affine son oreille pour se mettre à l’écoute de l’Ancienne Alliance et surtout si on est en mesure de la saisir comme une Bonne nouvelle qui transforme nos vies. C’est pour cela que Jésus, en plein milieu de l’évangile, ose demander à ses apôtres s’ils ont compris, au vu de tous les signes, qui il était vraiment. Quand Pierre acte cela avec vigueur, Jésus peut aller plus loin en dévoilant que le Messie n’est pas simplement un guérisseur extraordinaire… mais le Rédempteur, celui qui va sauver le monde par sa souffrance, sa mort et sa résurrection.

          On comprend ainsi mieux pourquoi Jésus, dans ce chapitre 7 de l’évangile de Marc, demande à tous ceux qui ont été témoins de cette guérison miraculeuse de ne pas la crier sur les toits. A ce stade de l’évangile, cette révélation n’a pas encore vocation à être proclamée. Elle n’a qu’un but : les affermir dans l’idée que Jésus est celui qui « fait entendre les sourds et parler les muets » selon l’expression d’Isaïe reprise dans l’évangile de ce jour.

Si vous me le permettez, chers frères et sœurs, j’aimerais faire un pas de plus. Car, en y réfléchissant bien, tout ce que je viens de dire va avoir de vraies répercussions sur nous aujourd’hui, et plus précisément sur notre manière de parler de Jésus autour de nous.

Certains, parce qu’ils sont un peu timides ou partisans d’une évangélisation implicite, ont peut-être vu dans le secret messianique le fondement de leur posture chrétienne. « Voyez bien que le Seigneur nous demande d’être des chrétiens discrets dans le monde » ! A l’inverse, d’autres, friands d’une évangélisation plus explicite sont peut-être frustrés voire désarçonnés. « L’annonce du Kérygme n’est-elle pas au cœur des Actes des apôtres ? » En tout cas, aucun d’entre nous ne peut rester indifférent face à une telle demande. Et c’est d’ailleurs une chance. Car dans ce domaine, la vérité est à chercher dans l’équilibre. Chacun est invité à débusquer ses penchants personnels pour les réajuster sans cesse ; à garder dans l’une de ses poches le « malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile » de saint Paul et dans l’autre le « levain dans la pâte » de la parabole bien connue.

Et, me semble-t-il, le silence messianique nous aide dans cette recherche d’équilibre. Car il attire notre attention sur la pédagogie de l’évangile, sur son déploiement progressif, qui laisse le temps à chacun d’approfondir le mystère. En effet, cette demande de Jésus nous donne de ne plus penser l’évangélisation à partir de notre caractère plus ou moins expansif, de notre volonté de changer le monde ou de notre peur d’assumer notre vie chrétienne… Le silence messianique nous invite au contraire au décentrement, c’est-à-dire à penser l’évangélisation à partir de ceux vers qui nous sommes envoyés. A l’exemple de Jésus, la question que l’on doit sans cesse se poser est : celui qui m’écoute est-il prêt à accueillir un tel message ? Evidemment, nous ne pourrons jamais percer le mystère de son cœur, mais nous apprendrons ainsi à l’écouter, à nous laisser saisir par son histoire, par ses soucis, par ses rêves… et nous pourrons ainsi comprendre qui est Jésus pour lui. Un frère ? Une vieille connaissance ? Un ami ? Un parfait inconnu ?

Même si cela peut nous frustrer un peu, l’évangile de ce jour nous demande d’accorder une vraie primauté à l’écoute. Si aujourd’hui Jésus ouvre nos oreilles et délie notre langue, il place aussitôt un doigt sur notre bouche ! Il nous dit : « écoute » et laisse-toi saisir par mon mystère. Alors, tu pourras annoncer l’évangile avec un cœur ardent et transformer le monde pour le conduire au Père. Amen.

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