Dieu est patience et miséricorde, pardon et plein d’amour. Il prend soin de chacun de ses enfants que sont les hommes, il aime chacun infiniment et ne se lasse jamais de redonner une chance à celui qui est tombé. Voilà le Dieu auquel nous croyons. Voilà l’expérience que nous faisons du Dieu de Jésus Christ. Voilà ce que Jésus lui-même nous révèle de Dieu son Père et notre Père. Voilà ce que l’Esprit inspire à notre esprit, et qui nous fait vivre et croire en Dieu.
Mais les extraits des textes choisis dans la liturgie d’aujourd’hui dénotent avec cette vision. Nous voilà devant une image de Dieu étrangère à celle que nous voulons connaître de lui. Voilà l’image d’un Dieu impatient, fatigué, las des infidélités des hommes et particulièrement de son Peuple. Voilà l’image d’un Dieu en colère, qui se venge, qui cherche la destruction plutôt que la croissance. Etonnante image de Dieu à recevoir aujourd’hui, encore une fois si loin de ce qui nous fait vivre. Car ce n’est pas en voulant détruire son prochain que l’on peut l’aider à se déployer et à grandir ! Ce n’est pas en détournant son regard de son peuple que Dieu l’aidera à prendre conscience de ses fautes et à se remettre en selle, à vivre une conversion et à retrouver la confiance !
Alors comment accueillir ces textes et cette Parole de Dieu comme une Bonne Nouvelle pour nous aujourd’hui ?
Sûrement s’agit-il là d’anthropomorphisme, c’est-à-dire de l’application d’images toute humaines à Dieu qui pourtant dépasse nos limites humaines. On reconnaît sûrement la colère et la fatigue des parents, parfois, face à l’incompréhension de leurs enfants ou de leurs ados qui n’en font qu’à leur tête. Et nous sommes parfois avec Dieu comme ces ados insolents. Nous pouvons, nous aussi, n’en faire qu’à notre tête et refuser de l’écouter dans sa tendresse et son silence. Nous pouvons, nous aussi, nous détourner de Lui pour mettre en œuvre nos propres plans et nos stratégies, au lieu de nous en remettre à sa méthode toute d’amour et de respect. Car les premiers qui n’ont pas respecté l’autre, ce sont bien les vignerons, dans le livre d’Isaïe comme dans l’Evangile, qui n’ont pas reconnu et respecté les paroles et les serviteurs du Maître.
Mais il ne faudrait pas en rester à cette incompréhension – et même, osons le mot, à la violence qui se dégage des textes d’aujourd’hui. Car tout texte biblique est à resituer dans l’ensemble de toute l’histoire sainte, et nous savons que ce n’est pas la violence ou le rejet qui ont le dernier mot, mais bien le pardon et l’Alliance. Et que là, se trouvent le véritable projet de Dieu avec et pour nous. Alors je vous propose d’entendre cette Parole non pas comme un reproche ou une menace, mais comme une action de grâce et un appel.
Une action de grâce, d’abord. Car ce qui est premier, ce n’est pas la désobéissance du peuple, mais le don de la confiance de Dieu pour son Peuple. Ce qui est premier, c’est la vigne offerte en travail, l’embauche des ouvriers à sa vigne, la confiance du maître qui part en voyage et ne se soucie pas de surveiller sans cesse le travail. Dieu nous fait confiance. Dieu nous offre la création en partage pour que nous en prenions soin. Dieu nous offre nos frères et sœurs proches et lointains pour nous aimer les uns les autres. Dieu nous offre son Eglise à construire et à aimer pour nous apprendre à nous aimer les uns les autres dans toutes nos différences, et pour témoigner de son amour et de sa présence au milieu du monde. J’aime cette phrase de la 2ème prière eucharistique : « Nous te rendons grâce, car tu nous as choisi pour servir en ta présence », reprenant les mots de l’évangile selon saint Jean : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisi pour que vous alliez et que vous portiez du fruit. » Dieu, qui pourrait faire tout à sa guise et sans personne, choisi les femmes et les hommes, vous et moi, pour coopérer à son œuvre de création et pour bâtir un monde de justice et de fraternité. N’oublions pas cet appel que Dieu lance à chacun, de prendre sa place dans le monde d’aujourd’hui, dans la société qui est la notre, avec ses richesses et ses défis. Dieu compte sur nous. Voilà ce qui est premier dans la Parole de Dieu que nous accueillons aujourd’hui. Voilà une première bonne nouvelle qui doit nous mettre en joie et en confiance, pour aujourd’hui et pour demain !
Et cette action de grâce ouvre à une responsabilité. Celle d’être des vignerons. Celle d’être des jardiniers de la Création, de la société, de l’Église. Celle d’être, disait un théologien canadien, comme des stewards pour la monde et la création, comme les stewards et les hôtesses de l’air sont au petits soins pour les voyageurs dans un avion. Prendre soin pour rendre – rendre grâce, comme nous le disions tout à l’heure, rendre raison pour communiquer de façon audible et intelligible l’expérience de Dieu que nous faisons, rendre service car c’est dans le service de l’homme et d’abord des plus pauvres que notre parole devient crédible. Les vignerons de l’évangile veulent faire main basse sur la récolte, la vigne et même l’héritage du Fils. Et nous, d’entrer progressivement dans la compréhension inverse : « Dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur », dira saint Paul. C’est lui, le Fils, qui tient le monde par amour dans ses bras. C’est lui qui vient nous libérer et nous sauver de nos repliements et de nos peurs. C’est lui qui est la pierre angulaire sur laquelle nous pouvons nous poser et nous reposer, construire nos vies personnelles et notre vie en Eglise. Ce que nous vivons ces jours-ci avec les Assemblées de communautés locales, la semaine dernière à Barret, aujourd’hui à Baignes, la semaine prochaine à Barbezieux, nous donne l’occasion de nous recentrer sur cette pierre angulaire, de nous désaisir de ce que nous voulons pour nous en fonction de nos propres critères, d’entrer dans l’écoute de la parole des frères et des sœurs, et de nous placer dans le souffle ténu de l’Esprit. Pour que l’Église que nous formons ne soit pas notre Eglise, mais bien la sienne, celle du Fils, qui, avec son Père et notre Père, nous fait confiance pour travailler, grandir et construire la civilisation de l’amour.
Que cette expérience d’Eglise, la Parole de Dieu en ce jour, et la célébration de l’eucharistie maintenant, fasse de nous des vignerons joyeux, ouverts et enracinés en cette pierre angulaire. « Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. »
Amen.
P. Benoît Lecomte