Chers frères et sœurs, l’heure est grave ! Désolé de casser l’ambiance festive de ce cinquième dimanche de Pâques par une telle introduction, mais je crois qu’il est bon de se rappeler qu’au moment où Jésus prononce les mots que nous venons d’entendre, l’heure est grave. Encore illuminés par la fête de Pâques, on a parfois tendance à l’oublier, mais c’est important de le rappeler pour entrer dans la profondeur du discours que nous venons d’entendre.
Car ce discours bien connu de la vigne et du vigneron n’est pas prononcé par Jésus Ressuscité. Ce n’est pas un discours qui nous parle du triomphe de la vie sur la mort comme nous en avons entendu plusieurs dans les semaines passées. Si on les resitue dans l’évangile, ces paroles font plutôt office de testament. Le testament que Jésus prononça juste après la Cène, quelques heures avant de subir la Passion et qui court sur plusieurs chapitres de l’évangile de Jean. Après le repas pascal, Jésus réunit ses disciples autour de lui pour leur transmettre le cœur de son évangile et anticiper la remise de sa vie par amour. Resituer ce contexte donne évidemment à ces mots une certaine gravité, et cela nous invite à les recueillir précieusement comme les pièces d’un trésor.
Au début de ce chapitre 15 de l’évangile de Jean, LE mot qui a retenu l’attention des disciples, et à côté duquel on ne saurait passer, c’est le verbe « demeurer ». Il revient de 8 fois dans les quelques versets que nous venons d’entendre et si on y prête attention, on remarquera que sa longueur en bouche n’a rien à envier aux meilleurs produits de la vigne.
Car je crois que Jésus n’a pas choisi ce verbe au hasard. Demeurer en lui, ce n’est pas seulement le suivre, « être avec lui », comme il le demandait jusqu’ici à ses disciples. Désormais, au seuil de sa Passion, Jésus leur lance un appel plus radical encore. Il leur demande de « demeurer en lui ». Cela ajoute une notion de durée, de fidélité même. Demeurer, c’est rester accroché malgré les difficultés, c’est espérer, parfois envers et contre tout. Ce n’est pas pour rien, à mon avis que Jésus insiste sur ce verbe à ce moment précis. Il sait bien que ses apôtres vont être tentés de fuir face à l’adversité et qu’ils vont l’abandonner au Jardin des oliviers. Mais en leur livrant son testament, je crois que Jésus voit plus loin. En leur demandant de demeurer en lui, il pense certainement à l’après. Cette formule prend alors une couleur particulière, celle de la miséricorde, qui invite les disciples à revenir à lui lorsqu’ils en auront la force.
Demeurer en Jésus, chers frères et sœurs, c’est donc d’abord lui être fidèles, quoi qu’il arrive. Mais il me semble Jésus ne s’arrête pas à ce premier sens. Il donne à ce mot une deuxième facette en l’illustrant par l’image de la vigne. « Moi, je suis la vigne, dit-il, et vous, les sarments ». Par-là, il ne leur demande pas uniquement de rester à ses côtés mais d’être en lui, c’est-à-dire d’être traversés intérieurement par la même sève que lui, d’être membres de son Corps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il établit une réciprocité « demeurez en moi COMME MOI en vous ». Ainsi, demeurer en Jésus, c’est habiter dans le même corps que lui pour ne pas se « dessécher ». C’est peut-être le sens le plus courant du mot « demeure » aujourd’hui. Jésus se propose d’être NOTRE demeure, notre maison, notre temple. Le lieu où l’on vit, où l’on se désaltère. Saint Jean le traduit dans son épître en explicitant la nature de cette sève commune entre Jésus et nous : « voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous puisqu’il nous a donné part à son Esprit ». Ainsi, avant même la Pentecôte, Jésus demande à ses apôtres de se laisser saisir par son Esprit Saint, en laissant ce dernier venir habiter en eux pour les unir à lui.
Ainsi, si on récapitule : demeurer en Jésus c’est donc d’abord rester fidèle et habiter en lui grâce à l’Esprit Saint. Mais je crois que l’évangile nous invite à faire encore un pas de plus puisque Jésus ne se contente pas d’utiliser ce verbe pour décrire ce qui nous relie à lui. Il l’utilise encore pour parler de notre capacité d’agir : « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, nous dit-il, car EN DEHORS DE MOI, vous NE pouvez RIEN faire ». Jésus utilise alors l’image de la taille, de l’émondage, si nécessaire pour ne pas affaiblir le cep de vigne. Il nous invite à comprendre que demeurer en lui, c’est encore se laisser émonder par son Père, c’est accepter qu’il ôte tout ce qui alourdit. En invitant ses disciples à demeurer en lui, Jésus leur demande au fond de se laisser dépouiller avec lui, c’est-à-dire de laisser mourir en eux tout ce qui les empêche de porter du fruit en abondance.
Sans prétendre épuiser les sens de ce verbe « demeurer » dans l’évangile, je vous propose donc trois sens qui me paraissent ressortir de cet évangile. Demeurer en Jésus, c’est rester fidèle à lui ; c’est habiter en lui par la puissance de son Esprit ; et c’est enfin se laisser émonder par son Père pour porter plus de fruit.
Trois sens qui ont certainement marqué les apôtres, au point qu’ils nous les ont transmis pour qu’à notre tour nous en fassions le fondement de notre vie. Car je crois que la vocation du Christ trouve sa source dans cet appel à demeurer en Jésus, comme il demeure en nous.
Alors, au terme de cette homélie, je vais me contenter de poser une question qui jaillit de cet évangile : chers frères et sœurs, voulez-vous demeurer en Jésus ? Cette question prend aujourd’hui un sens particulier avec ce que nous venons d’entendre. Elle implique de s’en poser trois autres : Chers frères et sœurs, voulez-vous être fidèles au Christ en recourant sans cesse à sa miséricorde ? Voulez-vous demeurer en lui en vous laissant émonder par son Père pour porter davantage de fruit ? Et enfin, voulez-vous demeurer en Jésus en devenant membres de son Corps ?
Que cette Eucharistie, communion à ce Corps soit pour nous un premier acte qui fortifie notre volonté. En ce jour où nous célébrons la résurrection, demandons à Jésus de venir demeurer en nous pour que nous demeurions vraiment en lui, afin de porter du fruit, du fruit en abondance. Amen.
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