Aimer. Voilà un commandement qui peut nous plaire ! Parce qu’il rejoint notre désir le plus profond, celui d’aimer et d’être aimé, de donner, recevoir et partager de l’amour. Parce qu’on ne se sent jamais aussi léger que quand on aime. Voilà un commandement qui ne s’adresse pas seulement à notre cœur, mais aussi à notre intelligence, à notre volonté, à notre liberté… « de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit », un commandement qui convoque toute notre existence, dans toutes ses dimensions.
Aimer. Voilà un commandement que nous aimons entendre – même si l’idée de « commander d’aimer » peut paraître un peu étrange.
Aimer. Voilà un commandement que nous avons l’habitude d’entendre et que nous voulons placer au coeur de toutes nos relations, avec Dieu et avec les autres.
Mais il ne faudrait pas que l’habitude d’entendre ces versets nous fasse passer à côté de leur actualité et de la puissance de la Parole de ce jour. Car la Parole est concrète, elle ne se joue pas d’abstraction. Regardons le livre de l’Exode. Des immigrés, des orphelins, des veufs ou des veuves, notre actualité en est abreuvée. Quant à ceux à qui il faut prêter de l’argent, donner un manteau, offrir une couverture, la crise sanitaire et économique que nous vivons ne fait que grossir leur nombre de manière vertigineuse. Les épiceries sociales et les associations de solidarité ne peuvent que constater ce phénomène et l’arrivée de « nouveaux pauvres » ou de pauvretés aux profils nouveaux et tenter, tant bien que mal, de répondre aux besoins. Les milliards d’aide promis suffiront-ils à rendre une vie digne à toutes ces victimes de nos systèmes ? Oui, vraiment, que cette page du livre de l’Exode est d’actualité ! D’actualité dans son interpellation, que nous pouvons recevoir personnellement et aussi ecclésialement. Nos communautés d’Eglise (paroissiales, diocésaines,…) sont-elle prêtes à relever le défis qui se présente à elles ?
Le défis est d’autant plus important que la puissance de la Parole de Dieu se trouve dans ce rappel que le défi est essentiel. « Aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même », c’est tout un, annonce Jésus. L’un ne va pas sans l’autre. L’un ne peut aller sans l’autre. Perdre l’un, c’est perdre l’autre. Il ne s’agit pas d’aimer Dieu à travers l’amour qu’on porte à son prochain – cette façon de penser me laisse toujours songeur quant à l’importance qu’on donne réellement à l’autre, pour ce qu’il est. Il s’agit d’aimer son prochain comme soi-même, et là, vivre de l’amour de Dieu. Il s’agit d’aimer Dieu de tout son cœur et de concrétiser cet amour dans celui porté au prochain.
Nos discours, nos méditations, nos homélies nous ramènent toujours à Dieu. Force est de constater que la Parole de Dieu nous ramène toujours à l’Homme. « Ne restez pas à regarder là-haut dans le ciel », disait l’ange aux apôtres. « Nous avons le culte de l’Homme », osait Paul VI à la clôture du dernier Concile, rappelant que nous sommes de « la religion de Dieu qui s’est fait homme. » Le chemin de Dieu, c’est l’Homme, renchérissait Jean-Paul II dans sa première encyclique. Retournement qu’opère en nos esprits la Parole de Dieu : Dieu s’occupe de l’Homme… et nous, nous voudrions nous occuper de Dieu en passant à côté de nos frères et sœurs ? Voilà qui nous est impossible. Voilà ce qu’il nous faut vivre si nous voulons « servir le Dieu vivant et véritable » (1Th). « Quitter Dieu pour Dieu »… et trouver l’Homme. L’homme perdu, l’homme blessé, l’homme immigré, l’homme affamé, l’homme malade, l’homme isolé. Et dans l’amour partagé, découvrir et grandir dans le mystère de notre humanité, mystère divin qui nous habite, toi, moi et tous autant que nous sommes, dans la toile de toutes nos relations, à l’image du Dieu Trinité que nous voulons aimer.
Le docteur de la loi veut mettre Jésus à l’épreuve avec sa question. Mais c’est bien plutôt la réponse de Jésus qui nous met à l’épreuve ! A l’épreuve de la radicale exigence de l’amour du quotidien, de l’amour dans toutes ses dimensions, de l’amour de Dieu, des frères et de soi-même, dans un seul et unique élan. Epreuve pour nous. Mais Lui, Jésus, a su réaliser cet amour total. En mettant sur un même plan les deux commandements de l’amour, il parle de lui, il dévoile son propre mystère, il dit qui il est, et il nous dit l’horizon de notre ultime vocation.
Que la Parole de Dieu et cette eucharistie nous donnent de plonger tout entier dans le commandement de l’amour, de cet amour infini qui renouvelle l’Homme, et le monde, et nous-mêmes.
Amen.
P. Benoît Lecomte
