Chers frères et sœurs,
Bien qu’une telle pensée ne soit pas pure de tout égocentrisme, reconnaissons que cela nous fait du bien de voir que Jésus, le Dieu fait homme, est engagé lui aussi dans le combat spirituel. COMME NOUS, il est aux prises avec de multiples tentations. COMME NOUS, il subit le tiraillement intérieur inhérent à toute vie chrétienne. Dans ce récit, Jésus a faim. Faim de Dieu… mais faim aussi de nourriture terrestre ! Il n’est pas un hologramme. Il n’est pas un pur esprit sous l’apparence d’un homme. Il est VRAIMENT un homme qui éprouve COMME NOUS des sentiments, des envies, des tentations. Cependant, et c’est là peut-être que nous avons tendance à décrocher. CONTRAIREMENT À NOUS, Jésus arrive à vaincre une à une chacune des tentations auxquelles il est soumis. Là où il nous arrive souvent de choisir la gourmandise plutôt que la prière, Jésus tient bon. Là où nous voulons être préféré, choisi, admiré, Jésus se soumet volontairement à son Père. Là où nous mettons bien vite Dieu à l’épreuve, Jésus repousse d’un revers de la main cette utilisation perverse de la Parole de Dieu faite par le diable. Bref, pour le dire en un mot : là où nous tombons, Jésus réussit. Et cela peut nous laisser un peu amer. Car le constat de sa victoire permanente contre la tentation peut au mieux nous exaspérer, au pire nous décourager. Ce qui rendrait ce texte parfaitement contreproductif. Mais alors, chers frères et sœurs, ne restons pas dans l’ornière et interrogeons-nous : qu’est-ce qui fait que Jésus, qui est traversé COMME NOUS par les tentations, réussit à les vaincre une à une ? La réponse qui nous vient en premier, c’est évidemment de dire : parce qu’il est Dieu ! Or, Dieu est nécessairement plus fort que toute tentation.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que cette réponse est un peu facile. Elle vient couper l’herbe sous le pied de la théologie de l’Incarnation et fermer la porte à toute imitation de Jésus ! En effet, si la différence entre Jésus et nous quant à la tentation ne tient qu’à sa divinité, à quoi bon s’incarner ? En effet, si le salut qu’il est venu apporter au monde ne tient pas aussi à son humanité, à sa manière d’être homme, de vivre en homme, il aurait mieux fait de rester au Ciel, se contentant de toucher du bout du doigt cette pauvre petite humanité en proie à la tentation et aux assauts du mal. A quoi bon avoir faim dans le désert ! A quoi bon appeler des disciples à sa suite ! A quoi bon être crucifié ! Si Jésus surplombe la tentation par sa divinité, pourquoi prendre la peine de partager notre humanité. C’est ce qui me fait dire, chers frères et sœurs, que cette option n’est pas satisfaisante. Si Jésus arrive à vaincre les trois tentations qui sont ici présentées, il faut chercher la raison au cœur même de son humanité, ou, pour être plus juste, au cœur de son humanité en tant qu’elle reçoit le secours de Dieu.
Et sur ce point-là, je crois que le récit évangélique que nous venons de lire donne une piste sérieuse. J’en relis les premiers versets pour que cela nous saute aux yeux : « après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit Saint, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable ». Vous ne trouvez pas cela étonnant, chers frères et sœurs, cette insistance de saint Luc sur l’Esprit Saint ? Pourquoi y a-t-il ici deux mentions de l’Esprit dans la même phrase ? On a l’impression que l’évangéliste prend un Stabilo pour surligner ce point : ce n’est pas au terme de quarante jours que l’Esprit vient au secours de Jésus dans le désert. Mais il l’accompagne tout au long de cette expérience. C’est lui qui « remplit » Jésus au bord du Jourdain. Et c’est encore lui qui le « conduit » À TRAVERS le désert pendant quarante jours, dans ce lieu où il est « tenté par le diable ». Il me semble qu’il y a là une raison de ne pas se décourager ou de s’exaspérer face à la différence entre Jésus et chacun d’entre nous. Car indirectement saint Luc nous pose une question : et toi, que fais-tu de cet Esprit reçu le jour de ton baptême et de ta confirmation ? Comment l’intègres-tu dans ta lutte contre la tentation ?
Je crois qu’elle tombe à pic, cette question. Car nous avons parfois tendance à voir la réception de l’Esprit Saint comme une récompense, un cadeau offert à ceux qui ont réussi à franchir des obstacles. On voit peut-être trop facilement la relation intime avec l’Esprit comme une gratification réservée à une élite spirituelle qui aurait réussi à se détacher suffisamment du monde pour vivre en sa présence. Remarquons que la perspective de cet évangile est bien différente. Elle est même inverse ! L’Esprit Saint n’est pas la cerise sur le gâteau mais le principe, le commencement, la condition de possibilité du combat spirituel. Il est la force, le don de Dieu qui nous est fait pour que nous nous engagions résolument dans ce combat. Il est – j’en suis convaincu – le seul moyen pour que nous aussi, à l’exemple de Jésus, nous puissions être vainqueurs face au diable et à ses multiples tentations. Seuls, nous en sommes incapables. Mais avec l’Esprit reçu le jour de notre baptême, de notre confirmation et jour après jour, Dieu SE DONNE lui-même pour s’engager AVEC NOUS dans le combat spirituel. Jésus l’a vécu POUR NOUS dans le désert, l’Esprit le vit EN NOUS à chaque fois que nous consentons à nous laisser saisir par sa présence discrète mais pleine de puissance. Mais alors, chers frères et sœurs, comment tirer profit de cela ? Car c’est bien beau de savoir que l’Esprit combat en nous et avec nous, mais concrètement, comment devenir vainqueurs du mal ? Je ne prétends pas être un expert dans le domaine ! Vous le savez bien, mes péchés sont trop visibles ! Mais je crois qu’une des clés se trouve dans la prière. Malheureusement – ou heureusement peut-être – nos tentations et nos penchants mauvais sont rarement très originaux. Il n’y a rien de moins inventif que le mal ! Donc quand nous savons que la tentation va survenir, avant qu’elle ne nous embrase de son feu, entrons en nous-mêmes – comme le fils prodigue – et invoquons l’Esprit du Seigneur. Demandons-lui spécifiquement d’être à nos côtés dans cette tentation. Demandons-lui de nous envoyer un de ses dons, celui dont nous avons le plus besoin dans cet instant précis : est-ce la force ? le discernement ? la piété ? la crainte de Dieu ? Chaque situation, chaque tentation nécessite de recourir à un remède différent. Enfin, deuxième petit conseil : ne partons pas en guerre contre une armée de 100 000 tentations avec la force de notre petite volonté. Ayons la sagesse de ne pas courir plusieurs lièvres à la fois ! Et surtout, acceptons que la perfection ne soit pas l’œuvre d’un jour. Faisons comme le sage Pape saint Jean XXIII qui disait dans sa prière : « rien qu’aujourd’hui, Seigneur, je ferai une bonne action et n’en parlerai à personne ». N’ayons pas peur de décevoir Dieu en usant de progressivité, car c’est précisément ainsi qu’il nous demande d’avancer… pas à pas ! Et s’il on tombe, surtout ne nous décourageons pas. Car notre Dieu est « tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour ». Ainsi, unissant nos humbles forces à la puissance de l’Esprit Saint nous pourrons nous aussi accumuler les victoires face à la tentation. Que ce carême en soit le temps privilégié ! Que notre traversée du désert pendant quarante jours soit l’occasion de vivre unis au Père, à l’exemple du fils, conduits et soutenus sans cesse par la puissance de l’Esprit Saint. Amen.
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