Chers frères et sœurs,
Vous commencez à en avoir l’habitude, j’aime bien introduire mes homélies en vous posant une question, avant d’y répondre moi-même. Cela permet à chacun de se positionner, de creuser son cœur, pour mieux recevoir la Parole qui nous est offerte dans la liturgie. Eh bien ce dimanche, la question que j’ai envie de vous poser est la suivante : quelle est votre première réaction devant l’attitude d’Isaïe pendant sa vision divine ? Je me permets de la relire pour que chacun l’ait bien en tête : « Malheur à moi, se lamente-t-il ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ».
SILENCE
Reconnaissons-le, pour les chrétiens du XXIème siècle que nous sommes, il y a ici quelque chose d’un peu saugrenu. Même s’il on admire sans doute l’humilité du prophète dans un moment si extraordinaire, une petite voix vient assez vite nous tirer de cette admiration pour nous laisser penser que cette réaction est un peu archaïque, dépassée. En effet, nous qui avons reçu l’évangile, on sait bien que Dieu n’est pas une espèce de Monarque lointain, obligé de se tenir à distance du monde pour ne pas être contaminé par son impureté.
Aussi arrivons-nous assez vite à la conclusion que l’attitude d’Isaïe est révélatrice d’une époque, d’une culture ; celle de l’Ancien Testament et qui n’a plus court aujourd’hui pour une seule et bonne raison : le Verbe s’est fait chair, Dieu a franchi la frontière qui le séparait du monde pour nous faire entrer, bien qu’impurs, dans son intimité, même avant notre mort.
Etant moi aussi un fils du XXIème siècle, chers frères et sœurs, je reconnais humblement que c’est ma première réaction face au vieil Isaïe. Et cela entraîne logiquement à mettre dans le même panier saint Pierre qui s’écrie dans l’évangile de ce jour : « éloigne-toi de moi, Seigneur car je suis un homme pécheur ». En poussant ce cri, Pierre paraît englué, lui aussi, dans une vision d’un Dieu qui ne peut être approché que par un pur esprit, libéré de toute imperfection.
Cependant, chers frères et sœurs, en lisant attentivement ce récit, un grain de sable est venu m’empêcher de tenir jusqu’au bout mon raisonnement trop bien huilé. En effet, dans l’évangile que nous venons d’entendre, force est de constater que Jésus ne contredit pas Pierre sur le fond de son cri… Il ne lui dit pas qu’il a tort de s’abaisser ainsi devant lui. Jésus se contente de le rassurer : « Ne crains pas, lui dit-il, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Autrement dit, c’est vrai que tu es un homme pécheur. C’est vrai que par toi-même, tu n’as pas la capacité d’être à mes côtés. Mais n’aie pas peur, c’est moi qui vais t’en rendre capable. Viens, suis-moi !
Si on accepte cette interprétation, on remarque que Jésus ne nie pas la problématique. Il partage ainsi la réaction de l’ange dans la vision d’Isaïe : tous deux purifient l’homme pour le rendre apte à assurer la mission qui lui est confiée. Mais si dans l’Ancien Testament, cette purification passe par la métaphore du charbon ardent posé sur les lèvres, dans l’évangile, cette purification n’est pas un acte. C’est une Personne qu’il s’agit de suivre ! Désormais, la purification n’est pas préalable à la rencontre de Dieu. Elle se fait en marchant, en avançant à ses côtés. « Alors, nous dit l’évangile, [les apôtres] ramenèrent leur barque au rivage et, laissant tout, ils le suivirent ».
Chers frères et sœurs, j’ai bien conscience qu’une telle interprétation peut susciter chez l’un ou l’autre une certaine perplexité. Mais si je me permets de faire cette petite analyse, c’est parce qu’il me semble que la question de la purification mérite d’être abordée voire équilibrée. Bien sûr qu’il ne faut pas attendre d’être absolument parfaits pour commencer à vivre aux côtés du Seigneur, mais notre tendance actuelle est peut-être unilatéralement inverse : avouons que l’on a parfois tendance à penser que l’homme peut mettre son péché sous le tapis et se croire l’égal de Dieu sous prétexte que ce dernier s’est fait l’un des nôtres.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les textes de la Parole de Dieu de ce dimanche viennent interroger la manière dont nous approchons de Dieu. Ils nous donnent de prendre conscience que ce n’est pas nous qui franchissons la frontière qui nous sépare de lui. Mais que c’est lui qui vient à notre rencontre pour nous purifier et nous rendre capables de répondre à son appel.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle traditionnellement, le premier don de l’Esprit Saint, celui qui ouvre la série que l’on reçoit en plénitude lors de notre confirmation, n’est pas le don de Sagesse ou de discernement mais bien le don de crainte. Non pas une peur panique, comme celle d’Isaïe ou de saint Pierre face à un Dieu qui apparaîtrait lointain, mais une reconnaissance du fait que Dieu est le Tout-puissant, le Tout-autre qui nous fait la grâce de s’abaisser jusqu’à nous. La puissance du message évangélique réside peut-être là, dans la compréhension du fait que c’est vraiment le Seigneur de l’univers, Créateur du ciel et de la terre, qui est venu dans la Personne de Jésus pour nous purifier, nous sanctifier, et nous permettre de vivre en sa présence, dans son intimité.
C’est d’ailleurs pour cela, chers frères et sœurs, que dans quelques instants, je vais demander aux parents de Mathis de renoncer au mal avant de proclamer leur foi. Ils le font pour eux-mêmes bien sûr. Mais ils le font aussi au nom de leur fils qui, quelques instants plus tard, sera plongé dans l’eau du baptême. Je reconnais que j’insiste rarement sur ce point, mais au vu des textes bibliques de ce jour, il me semble intéressant de rappeler que si le baptême permet de devenir enfant de Dieu, c’est parce qu’il opère une véritable purification. Dans ce sacrement, Dieu vient à la rencontre de l’homme, non pas avec un charbon fumant, mais DANS la Personne de Jésus-Christ, « mort pour nos péchés » comme le rappelait saint Paul dans la deuxième lecture, ET DANS la Personne de l’Esprit Saint envoyé « pour la rémission des péchés » comme on le dit dans la formule d’absolution du sacrement de la réconciliation.
C’est d’ailleurs dans ce même Esprit, dans ce même Christ, que plusieurs membres de notre assemblée vont recevoir le sacrement des malades. Ils font précisément cette démarche parce qu’ils ont conscience que la guérison du corps et du cœur est une œuvre qui les dépasse. Par eux-mêmes ils en sont incapables, comme Isaïe, comme Pierre. Et c’est pour cela qu’ils demandent à Dieu de venir les rejoindre, jusque dans leur chair éprouvée, pour être sanctifiés, purifiés, habités par sa tendresse.
Alors chers frères et sœurs qui allez recevoir ce sacrement, merci ! Merci de nous faire prendre conscience de la grandeur de Dieu qui vous consacre à sa Passion pour porter du fruit au cœur de notre communauté ! Merci de nous montrer que l’on ne peut rencontrer Dieu que dans l’humilité, en se présentant tel que nous sommes devant Celui qui peut accomplir des merveilles. Le Seigneur vous appelle à la suivre… Et vous répondez d’un cœur confiant : « me voici ! Envoie-moi ». Aurons-nous le courage de vous emboîter le pas ? Amen.
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