La prophétie d’Isaïe annonce que « en grand nombre, des chameaux t’envahiront. » Au-delà du sens de l’abondance que cela représente, je me suis souvent représenté la scène, imaginant des milliers de chameaux venir à moi… me demandant si toute cette caravane était vraiment une bénédiction ! Que faire de tous ces chameaux, fussent-ils « jeunes, de Madiane et d’Epha » ? Dans l’Evangile, les mages venus d’Orient n’ont pas de chameaux. En tout cas, le récit ne mentionne pas ce détail. Mais ils sont plusieurs (on ne connaît pas non plus leur nombre) et ils doivent certainement marcher, eux-aussi, en « caravane. » Le terme « caravane » n’est pas utilisé tel quel, mais il n’est pas étranger à l’évangile. Dans l’évangile selon saint Luc, on le retrouve à un autre moment de la vie de Jésus, lorsqu’il a 12 ans et qu’il a échappé à la surveillance de ses parents. « Revenant de pèlerinage à Jérusalem, ses parents avaient l’esprit tranquille en pensant que le garçon de douze ans (cf. Lc2, 42) marchait librement avec les autres, même s’ils ne l’avaient pas vu de toute la journée : « Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin » (Lc 2, 44). Certainement – pensaient-ils – Jésus était là, allant et venant parmi les gens, plaisantant avec les autres jeunes de son âge, écoutant les récits des adultes et partageant les joies et les tristesses de la caravane. Le terme grec utilisé par Luc pour désigner la caravane des pèlerins est le terme synodia, c’est-à-dire « synode » en Français, un terme qui indique précisément une communauté en marche. (Christus Vivit 29)
Ainsi, de la caravane de chameaux à la caravane des mages, la fête de l’Epiphanie nous indique une façon de vivre en Eglise.
Les mages sont en marche. A la fois pèlerins et migrants, savants et en quête. Le récit ne nous les montre pas statiques, bien au contraire : ils viennent de l’Orient, passent à Jérusalem, questionnent, cherchent, avancent encore jusqu’à Bethléem, et sitôt leurs cadeaux déposés, repartent. L’Eglise est à leur image : en marche. Pas depuis quelques mois ou quelques années ou quelques décennies : depuis le début, l’Eglise est en mouvement, parce qu’elle est animée par le Souffle de Dieu, l’Esprit Saint, l’Esprit de Vie. Il est normal que l’Eglise ne soit pas « bien ficelée », qu’elle ne tienne pas en place, parce que la place de l’Eglise, c’est « la route de l’homme », aimait à dire Jean-Paul II[1], et que la route est faite pour marcher, pour avancer, pour s’aventurer. « La pratique de la synodalité, traditionnelle mais toujours à renouveler, est la mise en œuvre, dans l’histoire du Peuple de Dieu en marche, de l’Église comme mystère de communion, à l’image de la communion trinitaire. La synodalité (qu’est l’autre mot pour dire « Eglise » !) est un style, c’est marcher ensemble, et c’est ce que le Seigneur attend de l’Église au troisième millénaire », dit le pape François[2].
Mais les mages ne marchent pas chacun selon son chemin. Ils sont ensemble, en « caravane ». Le « je » laisse place au « nous » (on remarque d’ailleurs que le récit ne leur donne pas les prénoms que la tradition inventera plus tard). La vie – et la vie de l’Eglise – est un cheminement communautairedans lequel les tâches et les responsabilités sont réparties et partagées en fonction du bien commun. Mais c’est ensemble que l’on avance. Souvent au rythme du plus fragile et du plus faible. La logique de l’individualisme n’a pas sa place dans la caravane ecclésiale. Chacun est important, nul ne peut en être exclu. Nous sommes dans une caravane inclusive, accueillante (même si nous pouvons parfois traiter l’un ou l’autre de « chameau » sous le coup de l’incompréhension !)
Les mages ont un but : Jésus. C’est lui qu’ils vont voir, pour l’adorer et lui présenter leurs offrandes. Voilà encore une belle image pour parler de notre pèlerinage en Eglise, de notre marche communautaire. N’est-ce pas pour le même but que nous nous sommes rassemblés dans cette église aujourd’hui ? N’est-ce pas nous aussi Celui que nous cherchons ? Si les mages nous indiquent le mouvement et la façon d’avancer, ils nous disent aussi où nous allons, ou plutôt vers qui nous sommes conduits, et à qui nous présentons nos vies.
Enfin (mais il y aurait encore tant à dire !), les mages repartent par un autre chemin. On ne fait pas demi-tour. La Bonne Nouvelle ne fait pas marche arrière. Elle est destinée à tous, à toutes les nations, à toutes les femmes, à tous les hommes ! « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile », clamait Saint Paul. Notre marche synodale est missionnaire. Elle ne s’arrête pas à l’Enfant de la crèche, ou à l’eucharistie, elle rejoint ensuite le cœur de tous les hommes car Jésus est né pour tous. Ces mages, des païens, des non-croyants, l’ont bien compris et l’ont accueilli en leur vie. Dans sa marche commune, l’Eglise doit déborder de l’amour qu’elle reçoit de Dieu, en emprunter tous les chemins les plus diverses que nous offre le monde d’aujourd’hui.
On pourrait se poser la question, avec les documents publiés du synode de l’Eglise universelle : « Comment se réalise aujourd’hui, à différents niveaux (du niveau local au niveau universel) ce “marcher ensemble” qui permet à l’Église d’annoncer l’Évangile, conformément à la mission qui lui a été confiée ; et quels pas de plus l’Esprit nous invite-t-il à poser pour grandir comme Église synodale ? » (Document Préparatoire n° 2).
L’Epiphanie, voilà une belle parabole pour nous parler de l’Eglise que nous formons et que Dieu appelle. Une Eglise « en synode », en « caravane », c’est-à-dire une Eglise où nous marchons tous ensemble, de tous les horizons sur la route de l’histoire, guidés par l’étoile qui nous mène à Jésus, pour que nous puissions l’adorer, nous nourrir de sa présence, nous offrir à lui et repartir ensuite par un autre chemin.
Amen.
P. Benoît Lecomte
[1] Jean-Paul II, Redemptor Hominis, 1979
[2] Pape François, Discours aux membres de la Commission Théologique Internationale, 29 novembre 2019
Une réponse sur « Homélie du 8 janvier 2023, par le P. Benoît Lecomte »
[…] Tout d’abord, voici l’homélie de ce jour, pour les adeptes de chameaux et de […]