« Où es-tu ? » Revoilà la question lancinante de Dieu qui nous cherche à travers les méandres de nos vies. Sauf nous ne sommes pas fixés à une place mais en chemin. La liturgie elle-même prend ce chemin avec nous aujourd’hui. « Où es-tu ? »
Au désert. Pendant 40 jours, avec le Christ, ou comme lui. Sur un chemin de carême, invités à le trouver ou le retrouver par la prière, le partage et le jeûne, par la désappropriation de soi-même pour se retrouver soi-même enfant de Dieu. Au désert pour éprouver, ou peut-être davantage encore pour prendre conscience des tentations et des combats que nous pouvons connaître en permanence dans nos vies. Au désert, en carême, comme en une école d’écoute et de vie pour être davantage attentifs à ce qui se joue en nous tout au long de l’année, lorsque nous voulons tant de fois nous prendre pour Dieu. « Où es-tu ? » Nous sommes là, sur nos chemins parsemés de tentations si diverses et si réelles qui nous font miroiter bien des faux bonheurs. Mais si le désert – celui de Jésus et le nôtre en ce temps de carême – est le lieu des tentations, il est aussi celui de la rencontre avec Dieu. Lieu de purification de nos vies et de mise à nue, de vérité. Et le désert nous conduit ailleurs. Jésus lui-même est conduit d’abord « plus haut », puis au sommet du Temple de Jérusalem. Et Jésus nous conduit, lui aussi, encore ailleurs. Avez-vous remarqué comment il commence chacune de ses réponses au tentateur ? « Il est écrit. » Jésus nous conduit au lieu où il nous donne rendez-vous : à l’Ecriture. A la Parole de vie, à la Parole originelle, créatrice et éternelle. « Il est écrit. »
« Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur », disait Saint Paul. Le carême n’est pas tant le lieu du désert asséchant que le lieu du silence où se donne à entendre la Parole de Dieu. C’est d’ailleurs peut-être le premier combat que nous avons à vivre, auquel nous sommes invités à consentir, pour gagner tous les autres ensuite. Faire silence – comme les lycéens participants la rencontre à Taizé la semaine dernière l’ont découvert et l’ont compris. Faire silence, arrêter le tourbillon de nos vies, stopper le brouhaha intérieur et entrer dans cette Parole autant qu’elle pénètre en nous. De tous nos combats, c’est la Parole qui nous sauve et c’est en elle que nous voulons « nous abriter » et « faire notre refuge », chantait le psaume. Pour qu’à la question de Dieu « Où es-tu ? », nous puissions répondre : « Nous sommes là, sous ta Parole, dans ta Parole de vérité. »
Cette Parole, les Hébreux en ont fait l’expérience de sa fidélité et de sa puissance. Elle a été pour eux le chemin, ou la porte ouverte à un « pays où ruissellent le lait et le miel », Parole libératrice de tous les esclavages. N’est-ce pas leur foi en cette Parole dont ils peuvent faire mémoire et rendre grâce dans le Livre du Deutéronome ? « Un pays où ruissellent le lait et le miel »… n’est-ce pas nous aussi ce à quoi nous aspirons, pour nous-même et pour tous les peuples de la terre, dans une paix enfin trouvée où chacun aurait sa place et sa dignité respectée ?
L’actualité du monde nous montre que les tentations auxquelles Jésus fait face ne cessent de traverser le cœur des hommes parfois jusqu’à la folie. Le « où es-tu » nous renvoie, chacun et collectivement, à notre façon d’habiter notre terre et de vivre en frères, de faire de notre monde, un monde solidaire ou un monde de chaos, un monde de vie ou un monde de mort. Ce qui se passe à l’échelle du monde est écho de ce qui se passe parfois en notre intériorité la plus intime, et réciproquement : le chaos ou la paix intérieure peuvent démolir ou bien construire le monde qui nous entoure.
A l’heure où les tensions internationales sont à leur comble, où les tentations les plus violentes, agressives s’expriment, où tant de populations sont obligées de fuir leur pays, et maintenant en Europe de façon si aberrante, incompréhensible, dramatiques, tragiques, à l’heure où nous pourrions être déboussolés et incapables de dire en vérité « où nous sommes » tellement ce monde parait fou et fragile, le Christ vient au début de notre carême nous réenraciner, nous rappeler à nos racines les plus vitales : la Parole de Dieu. Celle qui ouvre à la confiance et à la paix du cœur. Celle qui rassure parce qu’elle est Présence fidèle et infinie d’un Dieu toujours à nos côtés. L’arme par excellence pour faire taire toutes les tentations et tous les combats. Le lieu qui ouvre l’avenir d’un monde de paix.
En ce temps de carême, au cours de nos combats intérieurs, comme le Christ le fait, prenons le temps de revenir à l’Ecriture et à la Parole de Dieu, de nous en nourrir, de la laisser germer en nous. C’est elle qui, au matin de Pâques, éclatera en Alléluia de résurrection, en Lumière de Vie, en réconciliation définitive, et qui nous fera être qui nous sommes vraiment, dans la Puissance d’Amour de Dieu.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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