Chers frères et sœurs, Il y a quinze jours, nous célébrions en grande pompe la fête de Pâques. Notre cœur était rempli de joie. Nous n’avions qu’un mot à la bouche en sortant de la messe : « Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! ». Les médias tournaient en boucle sur le nombre impressionnant de baptêmes en France. N’en croyant ni leurs yeux ni leurs oreilles, ces derniers essayaient tant bien que mal de rendre raison de ce phénomène par des données sociologiques et culturelles. Et nous, sourire aux lèvres, la foi ragaillardie par les célébrations pascales, nous leur répondions que ce n’était le fait que d’une chose : la puissance de la Résurrection. Ce matin est venu le temps de s’assoir pour faire les comptes. Non plus à chaud, dans le feu de l’action, le cœur embrasé par le Ressuscité, mais posément, avec recul et discernement. Car l’ébullition pascale est certainement un peu retombée. Notre cœur s’est peu à peu apaisé. Nous avons repris nos activités quotidiennes avec leur lot de joies… mais aussi de galères. La tondeuse qui tombe en panne ; le soleil qui va et vient entre les averses ; la politique internationale qui n’a guère changé depuis la fin du carême. Et en ayant dormi quelques nuits sur ces événements, nous en venons peut-être à nous poser la question d’une manière plus réaliste : au fond, qu’est-ce que la Résurrection du Christ a changé dans ma vie ? Cette question, chers frères et sœurs, je crois que c’est précisément celle que se sont posés les apôtres dans les semaines qui ont suivi la fête de Pâques. Car ne croyons pas naïvement que leurs cœurs aient été transformés par un coup de baguette magique ! C’est d’ailleurs ce que nous raconte saint Jean dans le dernier chapitre de son évangile. Quelques jours auparavant, saint Thomas s’écriait : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Ce matin, il ne sait plus bien quoi faire de son acte de foi. Et lorsque saint Pierre propose de retourner à la pêche, il dit comme les autres : « moi aussi, je viens avec toi ». Pourquoi la pêche ? Parce que c’est ce qu’ils savent faire de mieux. Quatre d’entre eux étaient même pêcheurs professionnels avant que le Seigneur les appelle à sa suite. Alors quand ce dernier est retourné vers le Père, quand la folie de Pâques est un peu retombée, ils retournent à leur vie d’avant. Chassez le naturel, il revient au galop. Et c’est certainement ce que nous pouvons remarquer dans nos propres vies. Pendant le carême, nous avions pris de belles résolutions que nous avons plus ou moins réussi à tenir. Lors du triduum pascal, nous avons transformé l’essai en renouvelant les promesses de notre baptême. Mais cette semaine, le quotidien nous a rattrapé. Et notre vie a repris son cours, comme une rivière qui retourne silencieusement au fond de son lit après la crue. Heureusement, chers frères et sœurs, c’est précisément là, dans ce retour un peu mélancolique à la vie quotidienne que le Ressuscité revient nous secouer ! Car la résurrection n’est pas seulement la lumière rayonnante qui jaillit du tombeau avec une telle force qu’elle se grave sur un linceul. C’est un nouveau commencement, une recréation, une transformation qui se fait dans le temps, au cœur de nos vies compliquées. C’est la raison pour laquelle Jésus n’apparaît pas dans la barque pour affliger les apôtres en leur disant qu’ils n’ont rien compris. Jésus apparaît « au lever du jour », « sur le rivage ». Il se tient là, debout, pour leur faire prendre conscience de ce qui est en train de se passer : « les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » les interroge-t-il. Non ? alors « jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez ».
Quel pédagogue ! Jésus ne les accable pas. Il ne leur demande pas de faire autre chose que ce qu’ils sont en train de faire. Simplement, il les interpelle. Il leur fait prendre conscience qu’ils ne PEUVENT plus agir comme avant. Car désormais, c’est en s’appuyant sur lui et sur lui seul que leurs actions pourront porter du fruit. Pour ce faire, le Ressuscité les rejoint au cœur de leurs activités quotidiennes pour les transformer de l’intérieur par la puissance de sa résurrection. Il leur fait prendre conscience que la résurrection n’est pas qu’une histoire de rupture avec le passé. Elle est une reconfiguration de nos vies pour que, désormais, nous puissions vivre de SA vie.
Et c’est la raison pour laquelle saint Pierre se jette à l’eau, dans les eaux de la mort qui, au milieu de l’évangile, lui avaient fait si peur. Et où va-t-il ? Sur le rivage, pour rejoindre le Ressuscité qui vient de faire rayonner sa gloire. Par lui-même, par ses compétences de pêcheur, Pierre n’arrive plus à rien attraper. Mais, avec le Ressuscité, il peut porter du fruit en abondance. « ‘Apportez donc de ces poissons que VOUS venez de prendre’ lui dit Jésus. Alors Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent-cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré ». Chers frères et sœurs, nous aussi, nous pourrions être un peu circonspects en voyant notre manque d’efficacité. Nous pourrions nous lamenter en constatant que la fête de Pâques n’a pas transformé notre manière d’être et d’agir d’une manière extraordinaire. Mais c’est peut-être parce qu’on a cru que cela allait se faire sans nous ! Or Jésus ne nous sauvera JAMAIS sans nous ! Il ne transformera JAMAIS autre chose que ce que nous sommes ! Pour nous aussi, Jésus se tient là, debout, sur le rivage. Et il nous appelle au cœur de nos activités quotidiennes : « veux-tu mener ta vie avec moi ? Veux-tu que je sois à tes côtés pour donner du sens à tes actions ? Veux-tu que j’agisse à travers toi pour que tu puisses changer le monde ? Alors viens à moi ! Pose sur moi le même regard que celui que je pose sur toi ! Un regard de tendresse, un regard de douceur, un regard d’amour ». C’est pour répondre à cet appel de Jésus que nous sommes invités pendant cinquante jours à faire fructifier en nous les grâces de Pâques. Pour inscrire la résurrection au creux de notre vie quotidienne, pour que cette dernière vienne irriguer les profondeurs de notre âme. Jésus vient à notre rencontre et nous pose comme à saint Pierre la question la plus fondamentale qui soit : « m’aimes-tu vraiment ? » Eh bien ce matin, prenons quelques instants de silence pour y répondre avec nos propres mots. Le Seigneur pourra alors nous transformer, non pas d’une manière extraordinaire mais en profondeur, parce que nous ne serons plus ses serviteurs… mais ses amis. Amen.
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