Pas de parole, dans ce récit, pas de mot du Maître. « Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. » L’évangile selon saint Jean se termine par un lavement des pieds. Celui selon Saint Marc commence par une main saisie. Une main saisie par une main qui relève. Une main qui fait vivre. Littéralement, une main qui ressuscite. Nul besoin de mot pour Jésus, le geste seul suffit. Il dit tout. Il fait tout.
La belle-mère est au lit, avec de la fièvre. Figure de l’humanité malade. Non seulement nos personnes individuelles, mais notre humanité globale. Les sociétés toussent et râlent, les relations sont grippées, la tension est si haute en tant d’endroits, les articulations font de l’arthrose. Les plus pessimistes voient comme un cancer qui ronge le monde petit à petit. On fait des crises d’Alzheimer, on oublie les leçons du passé. L’aveuglement empêche de voir l’avenir, et on reste sourd aux cris de la terre et des pauvres.
Il y a deux siècles, les miracles de Jésus étaient la preuve qu’il était bien Dieu. Aujourd’hui, les miracles de Jésus sont accueillis par nos contemporains avec circonspection. C’est bizarre. On peut en rire. Ça fait rêver les enfants, mais ce n’est pas très crédible pour les grandes personnes que nous sommes. Alors que faire de ce « il s’approcha, la saisit par la main et la fit lever » ? Au-delà du phénoménal et du mystérieux (qu’il n’y a d’ailleurs aucunement dans le récit), comprendre que Jésus donne la vie. Remet debout. Relance la marche. Remet en vie. C’est ce que vient chercher la foule des voisins et de toute la ville. Le monde a mal, le monde est en prise avec le mal. Nul n’échappe aux épreuves, aux douleurs, au mal. Job lui-même, à qui tout réussissait, connait le désespoir : « Depuis des mois je n’ai en partage que le néant je ne compte que des nuits de souffrance… Le soir n’en finit pas… ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. » On croit entendre la plainte de tant de monde, et même la lamentation du monde.
C’est la nuit. « Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints. » Quand le mal est là, il nous plonge dans la nuit, il efface la lumière. Il n’y a plus que ténèbres. On broie du noir. Mais « le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. » Tout est dit. Littéralement : « Jésus ressuscita, bien avant l’aube ». Aube pascale. Mystère de Pâques déjà à l’œuvre, comme en chaque jour, chaque parole et chaque geste de Jésus. Il est sorti pour ça : proclamer l’Evangile, annoncer la résurrection. Mieux : traverser la nuit avec nous, et nous ressusciter avec lui. Pour cela, il n’est pas sorti de la ville, comme les disciples le croient, il est sorti de Dieu, le Père. Il est sorti de sa condition divine pour épouser notre humanité, sans jamais quitter sa divinité. Il est sorti de Dieu pour nous mener à Dieu, en venant nous chercher. Dans notre nuit. En nous tendant la main, en nous prenant par la main, pour nous mener au jour, pour nous délivrer de tout mal… pour nous donner la vie. Sa vie. La vie de Dieu.
C’est cette Bonne Nouvelle, cet Evangile que Paul veut annoncer à tous, au point de connaître le malheur s’il n’y arrive pas. Comme Jésus est sorti pour proclamer l’Evangile, Paul est missionné dans le même but. Comme Dieu s’est fait homme pour rejoindre tous les hommes, Paul veut se faire « tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » En se donnant, comme le Maître. « Et pour y avoir part », lui aussi.
Le dernier des apôtres met ses pas dans ceux de Jésus, empreinte sa trajectoire et sa dynamique, et nous renvoie la question : et nous, personnellement et en Eglise, en communauté, où en sommes-nous de notre annonce de l’Evangile ? Pas nécessairement d’abord par les mots, mais par les mains. Par les mains tendues vers l’humanité malade, vers les belles-mères, les malades, les paumés, les perdus, les affligés, les pêcheurs, les exclus, vers les vieillards et vers les jeunes. Le Seigneur « guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures », chante le psaume. Mais ce chant est une mission, celle que le Seigneur nous a confiée, comme il l’avait confiée à Saint Paul. Le monde malade se presse à notre porte, à nos écrans, à nos oreilles. Soyons une Eglise en sortie. Sortons, nous aussi, comme Jésus et comme Paul. Dieu compte sur nous, maintenant, aujourd’hui, pour nous approcher avec tendresse, saisir la main et faire lever. Faire lever la vie, faire lever le jour au milieu de la nuit… donner la vie.
Et si – et nous sommes certainement tous concernés – nous-mêmes sommes malades avec de la fièvre, ou habités comme dans l’évangile par toutes sortes de démons (et ils peuvent être nombreux, à commencer par la peur de perdre, ou de s’engager), rappelons-nous que le Seigneur s’approche de nous le premier, qu’il nous saisit la main à nous aussi, et nous fait nous lever. La Parole de Dieu travaillée, partagée et méditée, la vie sacramentelle, la prière intérieure, la fraternité sont autant de mains que le Seigneur nous tend pour nous relever. Et une fois relevés, tous autant que nous sommes, faisons comme la belle-mère de Simon, qui se met au service. Il ne sert à rien d’être en forme et confortablement installés, si ce n’est pour sortir de son confort et servir.
L’expérience pascale est une bonne nouvelle à accueillir et à vivre, à partager et à offrir. Soyons des ouvreurs du jour, des sentinelles de l’aube, des artisans de guérisons : approchons-nous tendons nos mains et relevons ceux qui en ont besoin. Que le Seigneur nous donne à tous de vivre relevés d’entre les morts, sortis de la nuit, dans la lumière du jour.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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