La Parole de Dieu ce matin nous convoque à l’humilité. Tant dans le livre de Ben Sira le Sage, où l’on nous demande d’accomplir les choses dans l’humilité, que dans l’évangile où Jésus invite à une attitude humble. L’humilité est un thème cher à la spiritualité chrétienne, et caractérise celui ou celle qui décide de mettre ses pas dans ceux du Christ. Dans sa règle, Saint Benoît consacre tout un chapitre à l’humilité, le plus long de tous les chapitres de la règle ! Il y propose une échelle de 12 degrés pour parvenir à l’humilité. C’est dire l’importance de ce thème et de cet appel, qui semble ne souffrir aucune dérogation.
Il y a pourtant un risque, spirituel, à trop ou mal parler d’humilité. Je pense aux cas où elle est imposée par quelqu’un qui a autorité, par un supérieur. Il y a, et le rapport de la CIASE il y a quelques années le démontrait avec force, un mauvais usage de l’appel à l’humilité quand elle devient prétexte à l’humiliation et à la négation de la dignité de la personne humaine. Alors cette invitation de l’évangile est à écouter avec attention et profondeur.
Je vous propose deux dimensions, qui me paraissent ressortir, à la méditation de la Parole de Dieu.
La première, c’est que l’humilité que nous sommes invités à vivre, est d’abord et avant tout une participation à la vie même du Christ, à sa dynamique de vie, à sa geste divine de salut. Comme le dit l’hymne bien connue de la Lettre aux Philippiens : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 5-10). On voit l’abaissement jusqu’à l’extrême qu’accepte Jésus, pour aller jusqu’au bout de sa mission et délivrer l’humanité de la mort, en y plongeant lui-même pour y faire jaillir la vie. Il est dans la nature et la mission même du Fils que de vivre l’humilité, non seulement comme une vertu, mais comme une dynamique, un style de vie, un mouvement de l’être. Et si Jésus invite ses auditeurs à être humbles, c’est pour qu’ils entrent eux aussi (et nous avec eux) dans une dynamique qui ouvre à la véritable vie, à la vie divine. Ainsi, l’humilité n’est plus une question de morale, de bienséance, de savoir vivre, mais une réalité existentielle, pour participer réellement à la vie du Christ. « Qui s’abaisse sera élevé », comme Jésus, par son abaissement, a été élevé au-dessus de tout nom.
La deuxième dimension concerne notre vie sociale et communautaire. Car finalement, dans l’évangile de ce jour, il est beaucoup question de regard : comment on se voit par rapport aux autres, comment les autres nous voient par rapport à eux, comment on voit ceux que l’on invite, ou les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux… On semble chercher dans le regard de l’autre si l’on doit ou si l’on peut être à la dernière ou à la première place. Cette remarque sur le regard mérite attention. Peut-être Jésus nous invite-t-il à soigner notre regard les uns sur les autres. On sait combien un regard peut relever, ou au contraire rabaisser, accueillir ou enfermer. L’humilité dont il est question ici est peut-être la suivante : apprendre à regarder l’autre en le regardant par-dessous, pour qu’il soit élevé. N’est-ce pas de cette façon que Jésus regarde ses disciples lors de la Cène, au moment du lavement des pieds ? Ne pas regarder « de haut », mais « du bas », pour donner à l’autre toute sa place, et même la première place. « Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes », dira Saint Paul quelques versets avant l’hymne déjà citée. Et voilà que notre vie communautaire en est transformée. Car alors, celui qui ne se comptait pour rien devient grand dans le regard des autres. L’on pressent la conversion possible de toutes nos relations, de toutes nos discussions, de tous nos échanges. Imaginons même cela à plus grande échelle que notre petite communauté : à l’échelle de toute l’Eglise, à l’échelle même du monde et de l’humanité ! Quand les puissants regarderont avec respect, attention, dignité et pourquoi pas admiration les plus petits et les plus pauvres. Par le bas. A quel renversement des valeurs, à quelle conversion radicale assisterions-nous ! C’est pourtant à cette folie que l’Evangile nous invite. Et si cette révolution n’atteint pas immédiatement l’ensemble de l’humanité, puissions-nous, déjà ici, entre nous, l’expérimenter du fond du cœur, pour devenir témoins de la vie nouvelle que nous offre le Christ.
Participer à la dynamique de la vie de Jésus, et transformer nos relations communautaires. Voilà ce à quoi nous appelle l’Evangile, une fois de plus. Que cette Parole, et l’eucharistie que nous célébrons ensemble, nous donne de grandir dans le mystère de la foi, qui nous fait devenir chaque jour plus humains.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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