(Textes de l’année A pour le scrutin des catéchumènes)
« En ces jours-là, dans le désert, le peuple, manquant d’eau, souffrit de la soif » (Ex 17, 3). On imagine assez facilement la scène. Le vent, le sable, la marche, la chaleur, la longue caravane, les jours passés et à venir dans cet environnement, le paysage toujours égal… Pour aller jusqu’à l’extrême, le film Dune dont le deuxième volet est actuellement au cinéma nous laisse imaginer l’importance de l’eau dans le désert. Cette eau ô combien précieuse, vitale. C’est une question de vie ou de mort. La soif n’est pas uniquement l’envie de boire. Elle est brûlure. Provoque hallucinations. Entraine à la folie. Elle tue le corps et l’esprit. Dieu a-t-il envoyé son peuple à la mort, avec aucun échappatoire possible – car on ne s’échappe pas du désert d’un claquement de doigt ? Imaginez, quand la soif se fait telle, l’expérience de la gorgée d’eau claire. Sa fraicheur. Sa douceur. Son effet irriguant tout le corps – et l’esprit. Goutte de vie, donnant la vie, remettant en vie. Ouvrant l’espoir de s’en sortir. Sans elle, c’est la mort. Avec elle…
Expérience du peuple de l’Exode, 40 ans dans le désert, à qui Dieu répond par le bâton de Moïse et la source sortant du rocher. Des pierres, Dieu fait jaillir la vie. Il ne veut pas que l’Homme meure. Il ne veut pas que son peuple se perde. Il faut aller au bout, jusqu’à la Terre Promise, jusqu’à la réalisation de la Promesse. Long carême, qui n’a pour but que Pâques, mais qui creuse la soif. La soif de l’Homme. La soif du monde. Entendez-vous notre monde s’assécher ? Comme en une longue traversée de désert, dont nous ne percevons pas la fin. D’un bout à l’autre de la planète, l’homme cris sa soif à force de violence et d’injustice. A force de mépris et de rejet. Dieu laissera-t-il ainsi mourir son peuple de soif ? Ou lui viendra-t-il en aide, comme autrefois avec le bâton de Moïse ?
J’ai soif, dit Jésus. « Donne-moi à boire. » Le Fils de l’Homme aussi, a soif. Soif d’humanité. Soif de la rencontre. Soif de vérité, de simplicité et de liberté. Rencontre de la soif des hommes et de la soif de Dieu. « Donne-moi à boire. » Mais il est, lui, la source d’eau vive qui désaltère en profondeur. Il est celui qui rafraichit non seulement le corps, mais aussi le cœur, et l’esprit. Il est la source dans laquelle tu as été plongé, au jour de ton baptême, pour ne plus jamais avoir soif, pour être vivant de cette eau, pour être éternellement désaltéré – malgré les sècheresses du monde.
Marie, Jade et Léa, vous avez soif, vous aussi. Soif de Dieu. Soif de ce Dieu qui désaltère. Qui réjouit le cœur. Qui transforme nos vies. Nous vivons avec vous aujourd’hui votre premier « scrutin », après l’appel décisif que vous avez entendu de l’Eglise il y a 15 jours. Par la prière de ce jour, Dieu vient scruter vos cœurs, il vient poser sur vous son regard d’amour et de tendresse, de miséricorde et de pardon. Il vient vous amener à Lui en respectant votre liberté et le rythme de votre volonté. C’est sa façon à lui de creuser votre soif tout en vous désaltérant aujourd’hui, et de faire déjà la vérité en vous. Pour que vous viviez – Et le départ de notre assemblée tout à l’heure au moment de l’eucharistie vous permettra, tout comme à nous, de creuser aussi cette soif du Corps du Christ offert en communion.
Il fait avec vous – et avec nous – ce qu’il a fait avec son peuple, et ce que Jésus a fait avec la Samaritaine. Car cette source d’eau vive n’est pas qu’expérience de soif, elle est opération vérité pour une immense libération. « Là, tu dis vrai » dit Jésus. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait », avoue la Samaritaine. Avec Jésus, ce qui est caché vient à la lumière. On ne triche plus – car on n’a plus besoin de tricher. C’est dans le regard d’amour, dans la parole échangée et dans la vérité que l’homme – la femme en l’occurrence – est libérée. De tout. De sa culpabilité. De sa honte. Du rejet subit. Des barrières culturelles, et religieuses et historiques : si un homme juif parle à une femme de Samarie, tout devient possible, jusqu’à l’incompréhensible pour les disciples. Même le lieu de la prière n’est plus problématique : ce n’est plus ni sur la montagne ni à Jérusalem que l’on adore Dieu, mais en esprit et en vérité, dans la tréfond de nous-mêmes, au cœur de notre cœur. Là est la Terre Promise, où l’on rencontre Dieu en vérité, dans la vérité de son Être, dans la vérité de notre être.
Le carême creuse la soif. Notre soif. Qu’il en soit ainsi. Pour que nous saisissions l’expérience pascale à venir. L’expérience du jaillissement de la vie, du dedans de la mort. L’expérience de la libération de toutes les chaînes qui nous empêchent d’être nous-mêmes et de nous donner dans la confiance et dans l’amour. L’expérience d’être désaltéré, de cette eau, de cette eau qui vient à nous et qui rafraichit le désert, notre désert intérieur et les déserts de notre monde. Imperceptiblement, mais réellement, car il a promis d’être là tous les jours et à chacun. « Moi, je vous dis : levez les yeux et regardez les champs dorés pour la moisson. » L’expérience de le reconnaître, lui, comme le Christ, le Messie, qui nous fait connaître toute chose, réalisant non seulement la promesse faite à Moïse, mais aussi celle faite à Adam. Renouvellement de l’Homme. Renouvellement pascal. Libération ultime dans la vérité de notre être, dans le projet de Dieu pour nous.
Que cette soif creuse en nous ce désir de Dieu, et nous tende vers les fêtes de Pâques et le renouvellement de notre baptême. Il est Celui qui désaltère. « Il est vraiment le Sauveur du Monde. »
Amen.
P. Benoît Lecomte
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