« Rien de nouveau sous le soleil » dirait Qohèleth. Et peut-être poursuivrait-il sur le même ton désolé : « vanité des vanités, tout est vanité ».
Je ne crois pas être tombé en dépression cette semaine, chers frères et sœurs. Mais en lisant les lectures de ce jour, ce sont les mots qui me sont venus. Car la crème de la crème de l’humanité, attachée indéfectiblement à Dieu, n’a pas beaucoup progressé entre Josué, le plus proche collaborateur de Moïse et saint Jean, le disciple bien-aimé de Jésus. Tous les deux, face à des actes extraordinaires posés par des hommes qui ne sont pas du cercle proche ont la même réaction. « Moïse, mon maître, arrête-les ! » s’écrie Josué, et saint Jean, comme en écho, surenchérit : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent ».
Tous deux sont choqués ! Choqués que des hommes qui ne sont pas des proches collaborateurs soient gratifiés par Dieu d’un pouvoir extraordinaire. Ils y voient une sorte d’injustice… Ce qui, à bien y réfléchir, parle bien plus d’eux-mêmes que de Dieu. « Serais-tu jaloux pour moi ? » répond malicieusement Moïse. « Ne l’en empêchez pas » poursuit calmement Jésus car « celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».
Oui, c’est bien la jalousie qui semble gouverner les cœurs de Josué et de saint Jean. Eux qui ont tout quitté pour suivre leurs maîtres, eux qui suivent scrupuleusement les règles de bonne conduite, ont fini par trouver juste d’être gratifiés, plus que les autres en récompense de leur renoncement. Ils ont fini par s’approprier le don pour en faire un dû. Au point qu’ils sont prêts à mettre à l’écart ceux qu’ils ne considèrent pas dignes d’une telle gratification. Eldad et Medad n’ont même pas pris la peine de se rendre à la Tente de la rencontre pour recevoir l’Esprit du Seigneur ; cet homme qui expulse les démons au nom de Jésus ne fait même pas parti de ceux qui nous suivent ! Pourquoi ces gens auraient-ils droit d’être ainsi honorés ?
Moïse comme Jésus font une réponse commune, bien qu’avec des tons différents. Moïse se lamente : « Ah, si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes », Jésus, lui, relève le positif : « celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ». A bien y regarder, le parallélisme entre Josué et saint Jean ne rend que plus rayonnant celui qui rapproche Moïse et Jésus. Face à la jalousie des disciples, les Maîtres ouvrent largement les bras, demandant au Père du Ciel d’étendre sa grâce sur toute l’humanité.
Cela peut être, chers frères et sœurs, le point de départ d’un petit sondage de notre cœur à la lumière de ces épisodes bibliques. Sommes-nous plutôt du côté de Jésus et de Moïse ou bien nous arrive-t-il de nous offusquer de la libéralité de Dieu envers les incroyants à qui tout semble réussir ?
Prenons un petit exemple qui me paraît actualiser ces scènes bibliques. La plupart d’entre nous ont certainement reçu le baptême. Et par conséquent, sont fiers des prérogatives que donne ce sacrement : une proximité avec le Père des cieux, une relation intime avec Jésus-Christ et surtout la grâce de l’Esprit Saint qui nous sanctifie. Eh bien, comment réagissons-nous quand nous voyons des affreux païens, des mécréants en tout genre, être gratifiés par Dieu de grâces particulières ? Ne nous arrive-t-il pas de nous interroger sur ce que nous apporte vraiment notre baptême ? Si les non-baptisés peuvent recevoir les mêmes grâces, s’ils peuvent connaître et aimer Dieu de la même manière que nous… à quoi bon recevoir le baptême !
Face à de tels raisonnements, Qohèleth serait tenté de répéter son refrain : « rien de nouveau sous le soleil ». Car en tempêtant devant la pluie qui tombe sur les bons comme sur les méchants, il peut nous arriver d’être jaloux de nos contemporains qui ne connaissent pas Dieu et à qui tout semble sourire, parfois plus qu’aux plus proches de Dieu, les saints qui vivent discrètement dans le monde. En sondant ainsi son cœur, cela peut même nous interroger sur les raisons de notre pratique. Pourquoi est-ce que je viens à la messe chaque dimanche ? Pour recevoir de Dieu des grâces plus importantes que mon voisin OU par amour pour mon Créateur et Sauveur ? Pourquoi est-ce que je prie ? Pour que Dieu me gratifie des dons les plus grands OU parce que je veux entrer en relation avec celui qui me sanctifie.
Je crois, chers frères et sœurs, qu’aujourd’hui, chacun est remis par la Parole de Dieu en face de son baptême et surtout de ce qu’il en fait chaque jour. Le Seigneur nous appelle à ne pas laisser pourrir notre richesse, à ne pas laisser le vêtement blanc être dévoré par les mites pour reprendre les expressions de saint Jacques.
Car le baptême que nous avons reçu est un vrai trésor. Non pas parce qu’il nous donnerait des droits supplémentaires, mais parce qu’il est une ouverture intérieure, profonde, substantielle à la vie divine. C’est ce que la tradition théologique appelle la grâce habituelle. Bien sûr que Dieu peut donner sa grâce à qui il le veut et quand il le veut ! Mais il ne le fait que de manière ponctuelle, de manière opportune avec les non-baptisés. Pour nous qui sommes ses enfants d’adoption, en vertu de l’immense cadeau qu’il nous a offert le jour de notre baptême, c’est de manière habituelle, de façon continue, qu’il nous inonde de sa grâce… à la mesure de ce que nous acceptons de recevoir. Car Dieu ne nous force jamais la main. Le don de sa Personne est toujours gratuit pour respecter notre liberté. Et c’est pour cela que cette grâce qui sanctifie les baptisés est assortie d’une certaine exigence qui peut nous dérouter. Mais c’est précisément parce que Dieu veut nous conduire librement vers les sommets ! Il veut que l’on collabore à notre salut pour que ce ne soit pas son œuvre sans nous, ni notre œuvre sans lui, mais une œuvre unique, une rencontre de Dieu qui cherche l’homme et de l’homme qui cherche Dieu.
Alors, chers frères et sœurs, ne soyons pas jaloux de ceux qui sont loin de Dieu ! Ne soyons pas vindicatifs face à ce Dieu qui ne paraît pas honorer ses amis plus que les autres. Mais contemplons l’ampleur de sa miséricorde ! Accueillons l’amour infini de celui qui nous dit comme au frère aîné de la parabole bien connue : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».
Autrement dit, chers frères et sœurs, laissons infuser en nous la grâce de l’Esprit et ne gardons pas pour nous ce que nous avons reçu. Faisons de notre baptême un cadeau pour le monde ! Faisons de notre baptême une porte d’entrée pour ceux qui ne connaissent pas Dieu. Pour nous y aider, méditons sur l’ouverture du cœur de Jésus qui donne sa vie pour les pécheurs : laissez-les venir à moi, ne les empêchez pas de faire des miracles en mon nom, nous dit-il comme à Jean, car celui qui agit ainsi « ne peut pas aussitôt après mal parler de moi ». Puis il nous associe à sa mission rédemptrice par un « nous » qui nous honore :car « celui qui n’est pas contre nous est pour nous ». Amen.
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