Chers frères et sœurs,
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais personnellement, je trouve que la finale de cet évangile a quelque chose de révoltant. Oui, j’ose le dire : ça me révolte ! Ok, c’est vrai que cet homme riche a été un vrai fumier pendant sa vie. Lui qui n’était même pas capable de considérer le pauvre Lazare qui gisait à sa porte. Cependant, alors qu’il souffre terriblement dans l’au-delà, il change d’attitude… il se met enfin à penser aux autres. Alors, ce sont ses frères, c’est vrai, mais tout de même, il veut leur éviter de souffrir comme lui. Et là, alors que l’esprit évangélique inviterait à encourager cette conversion, Abraham fait preuve d’intransigeance et lui répond sèchement : « si [tes frères] n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus ».
L’argument est sans appel… il laisse bouche bée…
Eh bien, chers frères et sœurs, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Si vous ressentez comme moi de la révolte face à cette situation, c’est que vous entrez certainement dans la catégorie des Pharisiens ! Parce que, c’est bien eux que Jésus vise en racontant cette parabole. Il veut les choquer pour faire sauter la couche de vernis qu’ils ont mis pour protéger leur vie spirituelle bien rangée. En les mettant face à leurs propres contradictions, il veut laisser éclater au grand jour leur manque de foi. Car c’est bien de cela dont il est question, plus encore que de leur manque de charité vis-à-vis des plus pauvres. En effet, eux qui se font passer pour professionnels de la foi aux yeux des gens sont pris comme un lapin dans les phares… Car si vraiment ils connaissaient la Loi de Moïse et les Prophètes comme ils aiment le clamer, alors ils ne rencontreraient aucune difficulté à reconnaître que Jésus est le Messie. Il guérit les aveugles ? Et ça, ils ne le voient pas. Il fait entendre les sourds ? Mais ça, ils ne l’entendent pas. Il fait marcher les boiteux ? Eux restent statiques, campés sur leurs positions. Il fait revivre les morts, eux, refusent d’entrer dans la vie… Jésus pourrait bien ressusciter d’entre les morts, eux, englués dans leurs certitudes, ne seraient pas convaincus.
Eh bien nous aussi, chers frères et sœurs, nous qui sommes révoltés face à l’intransigeance d’Abraham, peut-être que notre cœur aussi est mis à nu par Jésus. Car, reconnaissons-le, il peut nous arriver de nous cacher derrière les vicissitudes de la vie pour justifier nos manques de foi concernant la présence du Ressuscité dans le monde
Alors il est vrai que le monde qui nous entoure ne nous aide pas beaucoup. L’athéisme ambiant, les vagues de mauvaises nouvelles qui défilent sur les chaînes d’infos, les injustices criantes qui ne cessent d’augmenter… tout semble nous indiquer que Dieu est parti en voyage. Je me souviens, quand j’étais adolescent, je me disais souvent qu’il aurait été beaucoup plus facile de croire en Jésus si j’avais vécu à son époque, si j’avais vu de mes yeux les nombreux miracles qu’il a accompli. Eh bien, l’évangile de ce jour, me laisse aujourd’hui entendre l’inverse. La puissance de la foi ne vient pas de la quantité de miracles dont on est témoin… Elle vient du regard que l’on porte sur le monde dans lequel nous vivons.
C’est, me semble-t-il, ce que suggère la parabole que nous venons d’entendre.
D’abord d’une manière très pratique. Car, si on place du côté de l’homme riche, trois attitudes sont possibles. La première, la moins morale, c’est de faire comme celui de la parabole, de fermer les yeux sur la misère. De boire, de manger, de festoyer et de laisser ses chiens lécher les plaies des pauvres. Une deuxième attitude, un peu moins intolérable mais pas plus vertueuse, consiste à ouvrir les yeux sur cette situation pour mieux se morfondre sur le sort de ce pauvre Lazare. On en vient alors à crier vers Dieu, l’accusant de ne rien faire dans une situation si terrible… cela sans jamais s’interroger sur sa propre responsabilité.
C’est ce que suggère Jésus à travers les paroles d’Abraham, c’est d’opter pour une troisième attitude. Attitude à la fois plus mature et plus responsable et qui consiste à se mettre humblement au service de ce frère… Au lieu de crier vers Dieu pour mieux lui tourner le dos, Jésus suggère d’être SES yeux qui discernent, SES mains qui soignent, SON cœur qui écoute et SES bras qui relèvent. Là, dans le secret de la foi agissante, dans le creux de l’Eglise « hôpital de campagne » comme aimait le dire le Pape François, Dieu se rend présent, non pas malgré la misère du monde, mais grâce à la charité des membres de son Corps.
Je crois qu’il est là, chers frères et sœurs, le plus beau motif de notre foi : dans la reconnaissance du fait que Dieu est à l’œuvre en ce monde, non pas sans nous, ni malgré notre faiblesse mais à travers nos humbles forces galvanisées par la puissance de son amour pour chacun d’entre nous.
Car, je crois que c’est le second enseignement de cet évangile : la force des chrétiens réside dans le mystère même de notre foi en ce Dieu qui donne sa vie par amour. Oui, nous avons la Loi de Moïse qui nous donne le cadre pour vivre l’Alliance. Oui, nous avons les Prophètes qui nous rappellent sans cesse la préférence de Dieu pour les humbles et les petits. Mais surtout. Surtout, nous avons le Christ qui a livré totalement sa vie en mourant sur une croix avant de ressusciter le troisième jour. Par là, Dieu ne se contente pas de nous encourager à nous donner au service de nos frères en restant extérieur au monde. Il se donne en ce monde dans la faiblesse et l’humilité la plus totale. Jésus n’est pas un homme riche qui se désintéresse de ce qui l’entoure. Il se rend présent dans les pauvres et les petits qui gisent à notre porte. Jésus est ce Lazare qui, malgré l’intransigeance d’Abraham, revient dans le monde pour annoncer qu’un salut est possible.
Cela est totalement désarmant pour les Pharisiens qui ont le cœur endurci. Cela est totalement désarmant pour notre monde qui cherche à se constituer son paradis en accumulant les biens. Cela est totalement désarmant pour notre cœur qui veut accuser Dieu de son apparente absence dans le monde par confort ou par angoisse.
Alors, je ne vais pas faire de grande leçon de morale pour vous expliquer comment agir… j’en suis bien incapable. Je me contenterai de vous poser une question, comme je me la pose à moi-même : ai-je l’audace de croire en Dieu de manière inconditionnelle ? Ai-je le courage d’être ses mains et son cœur dans ce monde troublé ? Ce monde dans lequel il m’a envoyé. Amen.
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