Il y a des paroles qui ne servent à rien si ce n’est à encombrer le silence. Il y a des bavardages. Il y a des discussions où l’on ne s’écoute pas, chacun parlant de lui sans s’intéresser à l’autre. Il y a des paroles d’aéroport, que plus personne n’écoute. Il y a des discours creux, des paroles 1000 fois entendues qui n’apportent plus rien de nouveau, il y a des mots incompris, des paroles qui tapent à côté… Sans aller regarder du côté des autres, regardons ce que nous vivons, aussi parfois en Eglise avec nos multiples réunions et commissions. Et il y a la Parole de Dieu, la Parole du Christ. La Parole qu’est Jésus, le Christ. Parole prophétique s’il en est, de ce prophète que Moïse annonçait déjà en son temps, quand le peuple ne voulait plus entendre la voix du Seigneur. Cette Parole trace son chemin. Elle fait fi des considérations extérieures, elle ne s’encombre pas des « qu’en dira-t-on », elle ne s’attarde pas en périphrases ou en circonvolutions. Elle ne cherche pas à répéter ce qui a déjà été dit – souvent sans efficacité. Elle file droit, pour atteindre son but, à la stupéfaction de tous : « On était frappé par son enseignement »… « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! » Et cette Parole atteint son but : « il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Le Prophète a parlé.
Il a dit une parole de vie, et la vie a jaillit. Il a dit une parole de libération, et l’homme a été libéré. Il a dit une parole contre le mal, et le mal a été vaincu. Il a dit la volonté de Dieu, et la volonté a été faite. Sa parole est action. Energie. Puissance. Dynamique. Efficace. Avec la foule assemblée dans la synagogue, nous sommes dans l’étonnement. Cette parole est si loin de tous nos verbiages !
Et pourtant. Rappelle-toi, au jour de ton baptême : tu es devenu « prêtre, prophète et roi » à l’image du Christ. Et donc, prophète, toi aussi. Ton baptême t’a fait devenir porteur d’une parole prophétique, non pour la foule de la synagogue il y a 2000 ans, mais pour ce monde d’aujourd’hui, pour les temps que nous connaissons. Et cette parole baptismale, parole efficace, elle aussi, ne t’a pas laissé seul avec cette mission. Elle t’a attaché à un corps vivant, l’Eglise. Tu as rejoint ce Corps pour qu’avec toi, il devienne tout entier prophétique, et que l’Eglise toute entière, celle dont nous sommes, celle à laquelle nous participons, celle que nous formons dans l’unité de l’Esprit, porte une parole prophétique pour notre temps. L’Eglise est cette Parole par laquelle le Christ continue de parler au monde pour y faire jaillit la vie, le libérer de ce qui le retient à la mort, vaincre le mal qui continue de se frayer tant de passages, faire la volonté de Dieu. L’Eglise n’a pas sa fin en elle-même, « elle n’a de sens que pour ceux qui n’en sont pas » (A. Borras), elle est l’initiative de Dieu en faveur de l’humanité.
La parole de Dieu nous invite aujourd’hui à retrouver la force de notre vocation à être parole prophétique pour notre temps. Elle invite l’Eglise toute entière et aussi notre communauté paroissiale à être cette parole, jusque dans les signes de contradiction qu’elle peut apporter au monde. « Tais-toi, sors de cet homme », cris Jésus. Cette parole de vie nous rejoint.
Être prophétique, c’est être une communauté fraternelle, chaleureuse, accueillante à tous sans distinction. Une communauté qui banni la concurrence et la comparaison, dans un monde qui a tendance à les valoriser, amplifiant les haines, les malveillances et l’individualisme. A l’inverse, pour être prophétiques, nous avons à vivre la complémentarité des charismes et à développer sans cesse la communion entre nous et avec tous.
Être prophétique, c’est aussi être et avoir une parole claire et efficace, au milieu du brouhaha ambiant, jusqu’à proposer la richesse du silence quand le bruit ne cesse plus autour de nous. Une parole qui dit un projet, l’Alliance ; un événement, le salut ; une vision, le pardon ; un style de relation, la miséricorde.
Être prophétique, c’est agir, s’engager, dans des actions de libération des plus opprimés, de soin, de réconciliation, de vérité, de justice, de service de l’Homme dans toutes ses dimensions. C’est prendre place au milieu des oubliés, des paumés de toutes sortes, des exclus. Sans avoir peut des « qu’en dira-t-on », et avec la liberté de ceux qui se savent aimés de Dieu.
Être prophétique c’est, quand la grisaille semble l’emporter, quand les nuits de la haine et des violences sont sans fin, quand on ne voit plus que les horreurs du mal et qu’on n’entend plus que les cris des pauvres, inviter à l’espérance. Croire que la détresse, la souffrance, et même la mort ne sont pas la fin de tout. Croire que l’homme est encore capable du bien, du beau et du bon. Donner à voir que sur les ténèbres, « s’est levée une grande lumière, et que la lumière a resplendit. »
« Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi », disait le Seigneur à Moïse. Cette parole peut s’entendre de l’Eglise, pour aujourd’hui. Puissions-nous avoir le cœur ouvert pour accueillir cette Parole et l’accomplir par toute notre vie en Eglise. Puisse le monde être saisi d’étonnement devant la parole que nous sommes. Et découvrir la beauté, la grandeur et la véritable puissance de Dieu qui libère et donne la vie, qui fait toute chose nouvelle.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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