« Dieu a rappelé à lui… », entendons-nous lorsque quelqu’un décède. « Talitha koum », répond l’Homme – Dieu Jésus : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ». « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants », entendions-nous dans le livre de la Sagesse. Nous devrions écrire ces mots en lettres d’or dans nos pensées et dans nos cœurs. Dieu ne se réjouit pas de la mort. Il est le Dieu de la vie, le Dieu pour la vie, le Dieu de vie. Toujours. De la vie qui traverse la mort, bien sûr. Mais à cause de cette Parole de Dieu aujourd’hui, ne comprenons plus la mort comme un acte voulu par Dieu. « Il a créé tous les êtres vivants pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie », continuait la Sagesse. Dieu ne « rappelle » pas à lui. Dieu appelle sans cesse, quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, à la vie.
« Talitha koum. » Relève-toi. Comme cette femme dans l’évangile devenue religieusement et socialement exclue à cause de ses pertes de sang, mise au banc de toute relation humaine. Elle à qui la Loi impose de ne toucher personne. Mise en quarantaine, en confinement, à l’isolement pour ne contaminer personne. Sa seule solution pour approcher Jésus est la discrétion la plus absolue : se glisser dans la foule, passer inaperçu, compter pour rien, ne pas exister pour les autres. C’est vers elle que Jésus porte son regard. Non pour l’accuser ou la réprimander, mais pour la faire exister. Lui redonner une place, sa place, sa place de femme et même de fille : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. » La parole de Jésus qui relève et redonne vie.
« Talitha koum. » Relève-toi. Comme cette jeune fille de 12 ans, morte pour tous ses proches. « Elle dort. » La mort, pour Jésus, n’est qu’un passage, un sommeil duquel on se réveille, duquel il nous réveille. Confiance absolue en la puissance de vie du Père – cette confiance qu’il éprouvera lui-même sur la croix, car Jésus ne dit pas de belles paroles, il les vit, il les éprouve, il les endure parfois. « Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger. » Dans un élan ultime d’attention et de délicatesse. Comme si de rien n’était. Comme si tout cela été ordinaire pour lui. Pour Dieu.
« Talitha koum. » Relève-toi. Comme ces deux mots sont à entendre dans toute leur puissance en tant de lieux de notre humanité, sur les lignes de fractures de notre monde et de nos relations, en ces lieux d’instabilité et de mort, de peur et d’abandon. Crise politique, en ces temps d’élections boudées, crise sanitaire en ces temps où rôde encore la mort, crise sociale en ces temps où les repères se cherchent, crise ecclésiale dans une Eglise secouée par tant de contre-témoignages et de scandales, crises personnelles qui peuvent traverser chacun de nous et arriver sans crier gare. Comment vivre debout ? Comment être vivants, non pas survivants ou artificiellement vivants, mais bien vivants ? « Talitha koum. » Entend ces mots de Jésus, entend cet appel à la vie, entend ce cris créateur et sauveur. Entend ce désir venu du plus profond de Dieu et laisse-le te rejoindre au plus profond de toi. Toi en tant que personne, toi communauté chrétienne ou humaine. Toi qui, comme l’entourage de la jeune fille de l’évangile, peut être saisi d’agitation, de pleurs et de grands cris. Ou comme la femme souffrant d’hémorragie, être saisi de crainte et de tremblements. Ce sont les agitations, les pleurs et les cris, les craintes et les tremblements de notre monde et de nos vies. Ils nous atteignent et nous déstabilisent, à nous faire perdre pieds parfois. Ils sont envahissant dans le brouhaha inarticulé des incantations aussi puissantes que diverses. Mais de ce brouhaha, entend monter ces mots du plus profond de toi : « Talitha koum ! »
« Talitha koum », Louise, Léa et Sacha. Réveille-toi, réveillez-vous par l’eau du baptême, ou laissez-vous réveiller par cette source d’eau vive. Laisser-vous immerger par l’amour du Christ pour ressusciter avec Lui et partager cet amour.
Ces mots sont plus puissants que tout. Non pas qu’ils soient magiques, mais à cause de Celui qui les dit. Il est Celui qui s’approche, et va vers, et se laisse toucher et attendrir et aimer. Ces mots ne nous tournent pas d’abord vers notre misère et notre petitesse, mais vers celui qui parle – comme tout l’évangile d’ailleurs. Cette page n’est pas un propos sur la maladie ou la mort, mais sur la puissance du Christ. L’évangéliste nous parle de Jésus. Cette page est christologique. Elle nous dit qui est Christ, et il est Dieu, et Dieu de vie. Elle tourne nos regards et nos cœurs vers Lui le Tout Puissant et son mystère de Pâques auquel il veut nous faire participer, déjà, ici et maintenant. « Ne crains pas, crois seulement »… « Ta foi t’a sauvée. » La foi, celle que nous allons professer tout à l’heure en baptisant Louise, Léa et Sacha. Elle n’est pas une somme de dogmes à connaître ni des règles de morale auxquelles obéir, elle est une dynamique, un plongeon, un abandon de nous-mêmes à plus grand que nous, un engagement à nous hisser à hauteur divine. Elle est une relation que nous voulons vivre ou que le Christ veut vivre avec nous. Invitation de la Parole à la confiance en Lui, en sa Présence et sa Parole. Et vient en toi la capacité d’entendre ces mots pour toi : « Talitha koum. »
D’autant que tu as déjà tout, comme Paul le fait reconnaître aux Corinthiens : « la foi, la Parole, la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement » et notamment l’empressement de l’amour. Ne reste plus qu’à nous appauvrir. A nous délaisser de nos certitudes rassurantes qui ne laisse plus Dieu être Dieu ni les mots de la Parole agir. Nous délaisser pour nous ouvrir à qui Il est dans l’absolue confiance de l’enfant dans les bras de sa mère. Entrer dans la démaîtrise et le laisser faire, le laisser nous faire avancer et nous relever et nous libérer. Le laisser vivre en nous pour que nous ayons la vie et que nous soyons vivants d’une vie d’hommes et de femmes accomplis, déployés, libérés.
« Talitha koum ! » Que ces mots rejoignent Louise, Léa et Sacha et animent leur vie ainsi que la notre. Et notre action de grâce rejoint celle du psalmiste : « Avec le soir viennent les larmes, mais au matin, les cris de joie. Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi, et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! »
Amen.
P. Benoît Lecomte
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