Chers frères et sœurs,
Ce dimanche, une fois n’est pas coutume, je voudrais vous faire participer à cette homélie en réalisant un petit sondage. Ne soyez pas timide ! Je vais demander à tous les membres de notre assemblée qui se disent chrétiens de lever la main. Silence. Maintenant, je vais demander à tous ceux qui sont convaincus d’être justes de lever la main. Silence.
Ce n’est pas très étonnant, chers frères et sœurs, après l’évangile que nous venons d’entendre, de ne pas voir beaucoup de mains se lever à cette seconde question. Personne, surtout en public, n’ose vraiment dire qu’il est juste. Car s’il y a bien une chose qui est mal vue dans une assemblée chrétienne, c’est la présomption, l’orgueil. Ainsi, chacun préfère dire qu’il est un bon à rien, un pauvre type, un misérable, plutôt que de laisser penser aux autres qu’il est orgueilleux.
Mais alors, comment réagissez-vous, chers frères et sœurs, lorsque vous entendez saint Paul écrire à Timothée : « bien-aimé, j’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice ». Saint Paul en est persuadé : le Seigneur, qu’il qualifie même de « juste juge », lui remettra cette couronne de la justice.
Alors, on est tenté de se dire que saint Paul est un homme assez extraordinaire et que lui, contrairement à nous, a bien mérité d’être compté parmi les justes. Je trouve que c’est un peu malhonnête comme explication, surtout quand on connaît le parcours accidenté de l’apôtre. On met à distance l’homme d’exception pour mieux se dédouaner de notre propre vocation. Nous autres chrétiens, en raison de notre propension à nous dévaloriser, avons souvent tendance à faire cela avec les saints. Est-ce par humilité ? Ou bien est-ce par paresse ?
Aujourd’hui, je l’affirme haut et fort, au milieu de vous, chers frères et sœurs. Saint Paul n’était pas un super-héros. Saint Paul n’était pas un surhomme. Saint Paul était un disciple particulièrement zélé, c’est vrai, mais parce que brûlé par l’amour de Dieu. Pourquoi ? Précisément parce qu’il se savait pardonné ! Parce qu’il se savait sauvé ! Parce qu’il se savait aimé ! D’ailleurs, il n’hésite pas à étendre la grâce qui lui est faite de recevoir cette « couronne de la justice » à « tous ceux qui auront désiré avec amour la manifestation glorieuse » de Dieu. C’est-à-dire à nous… Si nous aussi nous acceptons de nous laisser sauver par lui.
Vous l’avez compris, ce matin, je voudrais tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle nous devons, comme chrétiens, refuser de dire que nous sommes justes uniquement par peur de ce que les autres vont penser de nous. Car la fausse modestie n’est pas l’humilité. Et dire que l’on est un bon à rien alors que l’on a reçu de nombreux talents, cela n’honore pas Celui qui nous les a donnés pour qu’on les fasse fructifier.
Ainsi, à la lumière de cela, il me semble que dans l’évangile de ce jour, Jésus ne pointe pas du doigt le pharisien parce qu’il est juste ! Ce qu’il dénonce, c’est sa suffisance, son mépris des autres. Ecoutons attentivement sa prière : « Mon Dieu, JE te rends grâce parce que JE ne suis pas comme les autres hommes. JE jeûne deux fois par semaine et JE verse le dixième de tout ce que JE gagne ». « Je, je, je ». Sa prière est remplie de lui-même. Si bien qu’on en vient presque à se demander s’il y a encore de la place pour Dieu.
Le contraste avec la prière du publicain saute aux yeux : « Mon Dieu, dit-il, montre-TOI favorable au pécheur que je suis ». Il ne s’adresse pas, comme le pharisien, à lui-même. Il sait bien qu’il n’y a vraiment pas de quoi se gargariser. Mais il se tourne tout entier vers Celui qui a le pouvoir le justifier, de le sauver. Et c’est d’ailleurs ainsi qu’il obtient ce qu’il cherche. « Je vous le déclare, dit Jésus, c’est LUI qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre ».
Ce qui est loué ici, ce ne sont pas les actes de ces deux hommes. Car objectivement, il vaut mieux être un juif pieux qu’un collabo ! Mais tandis que la fausse piété n’attend rien de Dieu, la vraie humilité attend tout de lui. C’est là que se trouve la vraie différence entre ces deux hommes : dans leur attente d’être sauvé. Alors que le premier s’auto-justifie en attendant la justice de ses propres œuvres, le second demande la justification. Il sait qu’il ne peut être juste que si cela lui est donné par Dieu.
Et c’est précisément la raison laquelle chacun d’entre nous peut oser regarder en face le Seigneur. Non pas en se jetant au sol pour surjouer la fausse modestie. Mais en rendant vraiment grâce à Dieu parce qu’on se sait justifié, sauvé, aimé par lui.
C’est précisément ce que nous allons vivre par la communion dans quelques minutes. Jésus, le Verbe fait chair, va se rendre présent au milieu de nous d’une manière nouvelle. Il va se donner à manger dans le pain et le vin consacrés devenus son Corps et son Sang. Face à un tel mystère, notre réaction sera de nous trouver bien pauvres et petits. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, chacun de nous va prier par ces mots : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… ». Comme ce publicain dans le Temple de Jérusalem, nous reconnaîtrons que nous ne méritons pas de recevoir Dieu. Cependant, notre prière ne va pas s’arrêter là ! Car Dieu lui-même est descendu dans le monde pour nous élever à lui. C’est pourquoi nous poursuivrons : « … mais dis seulement une parole et je serai guéri ».
La Parole de Dieu, c’est lui-même, Jésus. Il se donne à nous, non pas comme une récompense de nos bonnes actions. Mais comme un soutien, un secours, une force qui nous permet d’être justifiés. L’Eucharistie est ce « pain pour la route », ce don de Dieu, qui permet à ses proches amis de vivre de sa vie.
Un tel honneur implique évidemment une grande responsabilité. Il faut être prêt à le recevoir : avoir le cœur ouvert par le sacrement du baptême ; préparé par le sacrement de la réconciliation ; labouré par la méditation de la Parole ; attisé par le feu de la charité. Mais dans un but unique : recevoir pleinement celui qui vient à notre rencontre, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.
Alors, chers frères et sœurs, osons regarder notre Justificateur dans les yeux… osons dire que nous sommes justes ! Non en raison de nos bonnes actions, car effectivement cela serait présomptueux. Mais « justes » lorsqu’on se laisse justifier par le seul Sauveur : Jésus-Christ qui donne sa vie par amour pour chacun d’entre nous. Amen.






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