Chers frères et sœurs,
Je m’en rends compte ce matin, je manque vraiment de courage ! Oui, je manque de courage parce que depuis mon entrée au séminaire, il y a maintenant 10 ans, je poursuis un rêve secret. Celui de lire ce texte devant une assemblée, comme la nôtre ce matin, et de me contenter de faire EXACTEMENT comme Jésus : refermer le livre, le rendre au servant, aller m’assoir et me contenter en guise d’homélie de dire : « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre ». SILENCE
Si je faisais cela, chers frères et sœurs, certains se diraient peut-être que je suis devenu mégalo, que je me prends pour Jésus. Et c’est peut-être à cause de ceux-là que je n’ose pas de faire ce geste…
Pourtant, à bien y réfléchir, je pense que ces gens auraient complètement tort ! Oh, non pas sur la forme, il est peut-être vrai que je suis un peu mégalo. Mais sur le fond ! Car je crois fermement qu’« AUJOURD’HUI s’accomplit ce passage de l’Ecriture que nous venons d’entendre » pour une seule bonne raison : « l’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Une onction reçue le jour de mon ordination, c’est vrai ! Mais surtout une onction reçue le jour de mon baptême. C’est pourquoi, chers frères et sœurs, il serait certainement plus juste de dire ce matin : l’Esprit du Seigneur est sur CHACUN D’ENTRE NOUS, parce que le Seigneur, le jour de notre baptême, NOUS a consacrés par l’onction. Il nous a donnés de devenir participants de son Esprit. Il nous a unis à son être. De telle sorte que pour chacun d’entre nous, c’est AUJOURD’HUI que s’accomplit ce passage de l’Ecriture.
Une telle prise de conscience mérite certainement que l’on se taise ; que l’on se contente de laisser résonner en nous cette parole de Jésus car c’est peut-être la parole de l’évangile qui nous engage le plus. Mais attention, si on fait cela, il faut la comprendre jusqu’au bout. Car si par notre baptême, nous sommes devenus participants de l’être du Christ, alors l’ensemble de notre vie doit être comprise comme une participation à SA mission. Si nous avons été consacrés par le même Esprit que lui, alors nous sommes, nous aussi, envoyés « porter la Bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». Aucun chrétien ne peut déléguer cette mission ! Aucun baptisé ne peut vivre sa vie chrétienne par procuration ! Précisément parce chacun a reçu l’Esprit qui fait de nous des « autres-christs » selon l’expression si chère à l’école française. Non pas en se prenant pour Jésus, non pas en partant chacun de notre côté pour faire nos bonnes œuvres de manière isolée, mais en participants ensemble, au sein de l’Eglise, à l’œuvre de Jésus.
C’est précisément pour cette raison, chers frères et sœurs, qu’il est central, ce texte de l’épître aux Corinthiens que nous entendions tout à l’heure. Parce que la mission que nous avons reçue ne peut être accomplie qu’en relation intime avec Jésus dans son Corps qui est l’Eglise. AUCUN d’entre nous n’est la tête de ce Corps – la place est déjà prise – mais CHACUN en est membre en vertu de l’unique Esprit dans lequel nous avons été baptisés.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne recevons pas tous exactement la même mission. Que serait un corps avec des centaines d’yeux pour contempler Dieu mais pas de jambes pour le faire avancer ! Que serait un corps avec des dizaines de bras tout le temps en activité mais sans cœur pour l’irriguer et assurer la cohérence de l’ensemble.
Chaque baptisé, chaque membre du Corps du Christ, reçoit ainsi une mission personnelle, unique, pour le bien de tous. C’est pourquoi, il y a dans l’Eglise tant de manières de vivre la sainteté, tant de vocations différentes pour la faire rayonner. Les baptisés qui passent le plus clair de leur temps dans le milieu professionnel ou bien à l’école doivent, avec tact et intelligence, s’acquitter de leur mission d’annoncer la Bonne nouvelle par toutes leurs actes. Les mères de familles qui travaillent d’arrache-pied pour faire tourner la maison doivent assurer leur mission d’éducation, de communion auprès de leur famille et de leur entourage. Les moines et les moniales, cloîtrés dans leur monastère, doivent assurer leur mission de porter le monde dans la prière, de vivre concrètement la charité avec leurs frères et sœurs. Et les prêtres, eux aussi, mis à part pour le service la de communion, doivent assurer leur mission par la célébration des sacrements et par l’accompagnement des communautés chrétiennes.
En définitive, chacun d’entre nous, chers frères et sœurs, reçoit une mission qui lui est propre. S’il manque à l’appel, le Corps ne peut pas parfaitement assurer sa mission. S’il fait l’œuvre d’un autre, il le déséquilibre. En lisant attentivement cette lettre de Paul, on prend conscience qu’il n’y a rien de plus engageant que le baptême qui fait de nous des membres du Corps du Christ.
Pour autant, cet engagement ne doit surtout pas nous effrayer. Car c’est l’œuvre de toute la vie chrétienne que d’approfondir cette vocation qui nous a été confiée. Le Seigneur ne nous demande pas d’être arrivés au bout du chemin au moment où l’on lasse ses chaussures de rando. D’ailleurs, s’il on se trompe de sentier, il recalcule toujours l’itinéraire non à partir du lieu de départ, mais du lieu où nous nous trouvons. Comme un bon GPS qui nous fait faire demi-tour dans les culs-de-sac, le Seigneur trouve TOUJOURS un moyen de nous mener à bon port, dans le Royaume des saints qu’il nous donne en héritage.
On le voit bien ici encore, dans ce domaine de la sainteté, c’est AUJOURD’HUI que s’accomplit cette mission. Ce n’est plus hier. Ce n’est pas encore demain. C’est AUJOURD’HUI que le Seigneur nous lance un appel à vivre plus profondément de la vocation qu’il nous a confiée à l’intérieur de son Corps qui est l’Eglise.
Alors, chers frères et sœurs, au terme de cette homélie, bien plus longue que celle de Jésus dans la synagogue de Nazareth – j’en suis désolé – je me contenterai de vous poser une question : comment allez-vous aujourd’hui répondre à cet appel ? Comment allez-vous AUJOURD’HUI vivre de l’onction reçue le jour de votre baptême ?
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