Du temps de Néhémie et du prêtre Esdras, on rassemble les hommes, les femmes et les enfants, on apporte le livre qu’on lit du lever du soleil jusqu’à midi, et tout le peuple écoute la lecture, debout, attentif. Et quand le prêtre a terminé la lecture, tout le peuple lève les mains et répond : « Amen ! Amen ! », puis s’incline et se prosterne devant le Seigneur, le visage contre terre. S’ensuit une traduction, puis une homélie des Lévites, et encore quelques explications pour comprendre que le Seigneur invite à la fête.
La liturgie de la Parole est aujourd’hui plus courte, mais on y retrouve la solennité ancestrale. A l’annonce de l’évangile, nous nous sommes levés, avons chanté l’Alléluia, avons écouté attentivement. Et à la fin, nous avons acclamé Jésus, reconnaissant en cette parole proclamée, la présence réelle du Christ. Des siècles et des siècles séparent ces deux scènes, du temps de Néhémie et d’aujourd’hui, mais c’est la même liturgie qui se déroule, et qui dit la réalité profonde de ce que nous vivons. Non pas l’écoute d’un récit, non pas la lecture d’un texte, même pas seulement la proclamation d’une parole sainte. Mais la présence réelle du Seigneur. Avouons que dans nos messes, nous vivons cette liturgie de la Parole souvent comme une préparation à ce qui nous paraît être plus important, la communion. Et lorsque nous nous réunissons à quelques-uns pour prier « autour d’un texte de la Parole de Dieu », nous y voyons une prière avec moins de poids ou d’importance. Loin de moi de penser que la communion eucharistique ne serait pas source et sommet de la vie chrétienne. Mais nous devons aussi tenir que la Parole de Dieu est présence réelle. Car « le Verbe s’est fait chair ». Le Concile Vatican II écrit : « L’Eglise a toujours vénéré les divines Ecritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la Sainte Liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles » (Dei Verbum 21). La Parole de Dieu est nourriture et elle est vie. Elle est incessante créatrice. « Si tu ne me parles pas, je suis comme quelqu’un qui descend dans la fosse ! », crie le psalmiste dans le psaume 27 (Ps 27, 1). L’homme a en lui la conscience profonde, ontologique, que si Dieu ne lui parle pas, si Dieu ne le crée pas à chaque instant par sa parole, la mort est inévitable pour lui, la dissolution de la vie, parce que Dieu crée en disant tout dans la Parole par qui tout existe (cf. Jn 1, 3).
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre », dit Jésus en refermant le livre. Il est lui-même la Parole qu’il vient de lire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle. » Il est l’accomplissement de cette Parole et de toute la Parole de Dieu. Chaque récit, chaque extrait, chaque livre, chaque mot de la Parole de Dieu trouve sa réalisation, son accomplissement, sa réalité, sa présence incarnée, en Jésus.
Et que nous dit le passage d’Isaïe que Jésus lit à la synagogue ? « Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Parole d’espérance s’il en est, pour cette année sous le signe de l’espérance. La Parole, réalisée en Jésus, a pour mission de prendre soin des plus petits, des plus oubliés, des exclus et des fragiles de la société. Elle a pour mission de prendre soin de tous les membres du Corps, pour parler comme saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens, et d’abord de ceux qui sont les moins honorables ou que nous traitons avec le moins d’égard.
Elle est là, encore, la réalisation de la Parole de Dieu. Accomplie dans l’incarnation du Verbe en Jésus, elle se poursuit dans le Corps du Christ ressuscité qu’est l’Eglise. Et l’Eglise, de devenir Parole. Nous pas somme de discours, textes ecclésiaux et exhortations en tous genres, parfois allant dans tous les sens, parfois inaudibles au point qu’on ne les écoute plus. Les discours ecclésiastiques peuvent parfois se perdre en brouhaha comme les annonces d’un hall d’aéroport qu’on n’écoute plus, chacun allant dans sa direction. Mais il s’agit de comprendre que le Corps Eglise devient Parole fondamentale, Parole de Dieu, Parole prophétique comme l’est Jésus par toute sa vie. L’Eglise est Parole par les relations entre nous, par notre fraternité, notre sens de la justice, notre attention aux plus petits et aux plus fragiles. Nous devenons Parole de Dieu en portant la Bonne Nouvelle à notre monde. L’Eglise est Parole par la Parole de Dieu reçue, écoutée, méditée, priée, vécue. Parole de Dieu incarnée pour aujourd’hui, autant que nous la laissons travailler en nous.
Que notre cœur s’emplisse et se nourrisse de la Parole de Dieu, Christ se livrant à nous en son Verbe fait chair. Que l’accueil de la Parole de Dieu nous donne de devenir cette Parole de Vie que le Seigneur offre au monde et dont le monde a besoin aujourd’hui.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Homélie du 26 janvier 2025, par le P. Benoît Lecomte
Aubeterre - Chalais - BrossacPublié le 26 janvier 2025
Laisser un commentaire