« La paix soit avec vous tous. Bien chers frères et sœurs, ceci est le premier salut du Christ ressuscité, le Bon Pasteur, celui qui a donné sa vie pour le troupeau de Dieu ».
Les avez-vous reconnus ? Ces mots ne sont pas les miens… Ce sont ceux prononcés par le Pape Léon depuis la loggia de la basilique saint-Pierre le soir de son élection. Comme personne n’avait vraiment anticipé le fait que le cardinal Prévost serait élu Pape, tous les médias se sont immédiatement saisis de ces derniers pour catégoriser le bonhomme… Léon, pour beaucoup de commentateurs qui avaient placés leurs caméras aux abords du Vatican, est devenu en quelques secondes « le Pape de la paix » !
Pauvre homme, à peine élu, on lui a déjà collé une étiquette. Une étiquette flatteuse, c’est vrai ! Mais une étiquette porteuse d’une responsabilité gigantesque… Car, comment un homme, aussi extraordinaire soit-il, pourrait-il incarner à lui seul la paix ?
C’est pourquoi, je vous propose ce matin, chers frères et sœurs, de ne pas céder à la précipitation des médias ; de ne pas attendre de notre Pape – pas plus que d’un autre chef d’Etat d’ailleurs – d’être à lui seul le garant de la paix. Précisément, parce que si l’on s’arrête sur le fond de ce discours, le Pape est justement en train de nous dire que ce n’est pas LUI qui prononce cette annonce pacifique… Mais le Christ Ressuscité.
Alors, en bons chrétiens, notre réflexe est de tourner notre regard vers Jésus. Et effectivement, nous nous souvenons de ces versets, lus le dimanche de la Miséricorde lorsqu’en l’absence de saint Thomas, Jésus donne à ses apôtres de devenir missionnaires de cette paix : « la paix soit avec vous ! leur dit-il, de même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».
Un message exaltant ! Un message qui donne envie de soulever les montagnes ! Un message qui nous pousse peut-être à croire que ça y est, puisque Jésus est ressuscité, il n’y aura plus de guerre ! Et là, vous me voyez venir, chers frères et sœurs, car le Christ, pas plus que son serviteur fidèle, le Pape Léon, n’a apporté en ce monde la paix définitive. Je n’ai pas besoin d’égrainer les multiples endroits en Afrique, au Moyen-Orient ou en Europe où la guerre fait rage…
Mais alors, le Pape se serait-il trompé ? Ses premiers mots seraient-ils du vent ? Là encore, je crois que l’on ne doit pas céder à la tentation de juger trop vite. Car dans ses premiers mots, le Pape ne se contente pas d’annoncer la paix. Aussitôt après l’avoir proclamée, il continue ainsi : « ceci est le premier salut du Christ ressuscité, le Bon Pasteur, celui qui a donné sa vie pour le troupeau de Dieu ».
Et c’est là que son message prend une tournure nouvelle. Car Jésus ne nous a JAMAIS promis, même au matin de Pâques, que son règne mettrait fin aux guerres ! Il a même promis l’inverse dans son discours après la cène en disant : « un serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, vous aussi ». En revanche, ce que Jésus a promis, nous le lisions à l’instant dans l’évangile de Jean : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix », puis il poursuit : « ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : je m’en vais et je reviens vers vous ».
Alors ce matin, chers frères et sœurs, ne soyons ni bouleversé, ni effrayé, ni découragé en croyant que le Christ n’a pas apporté la paix promise… Car nous attendons cette paix de la mauvaise manière, c’est-à-dire « à la manière du monde ». Une paix qui consiste en un status quo, à une absence de guerre parce qu’on a pris les moyens de faire peur à celui qui voulait nous attaquer. Ce qui n’a rien à voir avec la paix que Jésus apporte et qui, à mon avis, est développé dans les mots qui suivent : « je m’en vais » ET « je reviens vers vous ». Une phrase énigmatique que je vous propose de commenter brièvement.
D’abord, Jésus apporte la paix en s’en allant. « Je m’en vais » dit-il. Dans le contexte immédiat, ce départ fait référence à sa mort qui surviendra quelques heures plus tard. Comme le Pape Léon le disait depuis la loggia : Jésus est le Bon Pasteur qui donne sa vie pour le troupeau de Dieu. Et c’est ainsi qu’il donne SA paix. Il s’offre en sacrifice, par amour. Il SE DONNE tout entier. Il SE LIVRE entre les mains les hommes. Ce qui, évidemment, nous rend perplexe, nous qui sommes si attachés à la manière du monde. Mais l’évangile est sans appel. C’est ainsi, nu, désarmé, dans cette radicalité de l’amour que le Christ donne sa paix.
Ensuite, parce que ce sacrifice de paix ne contient pas à lui seul le mystère pascal, Jésus poursuit : « et je reviens vers vous ». Car il le sait bien, en dehors de lui, nous ne pouvons rien faire. Et la paix qu’il nous donne en s’offrant par amour pour nous racheter du péché ne peut être solide, réelle, que s’il se tient à nos côtés. « Allez, dira-t-il à ses disciples le jour de l’Ascension, de toutes les nations faites des disciples. (…) et moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Que cela nous soit facile à entendre ou nous bouscule, voilà chers frères et sœurs, le modèle de paix qui nous est laissé par Jésus : s’offrir en sacrifice par amour et nous demander de vivre en sa présence, dans son intimité, tous les jours de notre vie. Car c’est ainsi que nous pourrons à notre tour, être des « artisans de paix » comme il le révèle dans les béatitudes. En étant profondément enracinés en lui ET en acceptant d’être pauvres, désarmés face à l’escalade de la violence.
Vous trouverez peut-être que cette option est très passive, qu’elle manque cruellement de courage. Si l’on ne prend pas les armes face aux persécuteurs, n’en est-on pas complice ? Comme chrétiens, n’a-t-on pas le devoir de résister face à toutes les formes d’injustice ? Mon rôle, ce matin, n’est certainement pas de faire une leçon de morale à qui que ce soit. Chacun pourra – devra même – en son âme et conscience discerner quelle solution est la meilleure en fonction des circonstances. Mon but est simplement de rappeler comment le Seigneur nous a laissé SA paix : en respectant infiniment la vie de ses opposants, en supportant les affronts avec patience, en livrant sa vie pour une cause qui le dépasse MAIS SURTOUT en fixant toujours son regard sur son Père. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus lève les yeux car il le sait bien : aucune paix ne peut venir de ce monde fasciné par le pouvoir. Seul le Père miséricordieux peut nous donner la force surmonter notre orgueil pour offrir au monde SA paix.
C’est d’ailleurs peut-être ce qui peut inspirer notre prière ce matin : Jésus, toi le Bon Pasteur, qui a donné ta vie pour le troupeau de Dieu, donne-nous d’être témoins de TA paix dans nos familles, dans notre entourage et dans le monde. Donne-nous d’œuvre concrètement pour cette paix en imitant ton humilité. Par la puissance de ton amour, fais de nous les artisans de paix en ce monde que tu es venu sauver en t’offrant sur la croix. Amen.
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