Où en êtes-vous dans votre effort de carême ? Peut-être ne l’avez-vous pas encore trouvé ? Ou peut-être êtes-vous fiers de tenir vos objectifs ? Ou peut-être encore sentez-vous que les 40 jours vont être très longs, alors que vous vous sentez déjà lâcher le cap après 10 jours seulement ? Les résolutions étaient bonnes, pourtant. Et pleines de sens : retrouver Dieu. Manifester à Dieu que nous voulons le retrouver, que nous mettons notre confiance en lui. Nous éprouver pour éprouver notre relation avec lui. Perdre de ce que nous avons pour nous donner davantage à lui. Peut-être avons-nous décidé trop grand ? ou peut-être pas assez grand ?
Abraham, lui, a voulu aller jusqu’au bout de son « effort de carême » pour montrer à Dieu qu’il l’aimait. Jusqu’à sacrifier son propre fils. Le fils unique. Le fils de la promesse. Le fils de la bénédiction. On est loin de la privation de chocolat ou de quelques minutes d’écran ou du quart d’heure de prière en plus. Sacrifier son fils. Mais voilà : ce n’est pas l’idée de Dieu. On ne portera pas la main sur l’enfant, on arrête le couteau en plein vol. « Ce ne sont pas les sacrifices que je veux, mais la miséricorde », dira Jésus (Mt 9, 13). « Tu ne veux ni holocauste ni victime, ce qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé, un cœur brisé et broyé », dit le psaume 50. Le Seigneur le rappelle encore par la bouche du prophète Isaïe : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? » (Is 58, 6-7). Logique inversée : nous ne revenons pas à Dieu à coup de sacrifices, de privations ou de torture. Tout simplement parce que ce n’est pas nous qui pouvons faire le chemin : il est trop long, il est trop loin. Et ce serait encore nous regarder le nombril, chercher à faire des exploits en contemplant notre volonté. Mais c’est Dieu qui fait la route. C’est lui qui nous réconcilie avec lui. C’est lui qui nous sauve. Ce n’est pas nous qui pouvons donner quoi que ce soit pour attirer son amour, c’est lui qui nous a tout donné, tout lui-même, et même son Fils, son unique. « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? » demandait l’apôtre Paul. Non pas qu’il ne faille pas marquer par des moyens concrets notre désir de retrouver une pleine relation d’Alliance avec lui ! Mais sans oublier que nous ne pouvons pas la gagner avec nos propres forces. C’est lui, qui offre son pardon et sa miséricorde. C’est lui, qui fait grâce. « Dieu est celui qui rend juste », disait encore Saint Paul. C’est lui qui nous accueille et nous invite à devenir ses enfants d’adoption.
Ses fils et ses filles. Ce dont il est finalement question tout au long de ces récits : avec Abraham, dans la lettre de Paul, dans le récit de la Transfiguration, il n’est que question de fils. Voilà le but de Dieu au long de ce carême : faire de nous ses enfants. Nous révéler qui est son Fils unique, son Fils bien-aimé, pour que nous devenions à son image… ou pour que nous le laissions nous modeler à l’image de ce Fils. Par sa Parole, à écouter de tout notre être. « Ecoutez-le ! » Dans le silence. Par la prière. Par l’ouverture du cœur et la fraternité. Les engagements que nous avons pris en paroisse pour vivre ce carême ne sont que des moyens pour grandir dans cette filiation à laquelle Dieu nous invite : par la prière en entrant dans les dispositions de notre Père à tous, par la fraternité en nous accueillant les uns les autres comme frères et sœurs de Jésus Christ le Fils unique. En mettant nos pas dans ceux des catéchumènes, qui désirent d’un cœur vibrant être révélés enfants de Dieu. La Transfiguration n’est pas une apparition merveilleuse de Dieu. Elle est la révélation de son projet pour nous, projet qui sera réalisé à Pâques, et auquel nous voulons nous préparer car il concerne tout notre être, toute notre vie, toute notre existence. Sûrement sommes-nous ce matin comme Pierre, un peu dépassés par les événements, encore incapables de comprendre l’inouï de ce que Dieu nous prépare – et qu’il nous a déjà donné par notre création et par notre baptême, ce jour où nous avons revêtu le « vêtement resplendissant d’une blancheur » sans pareil.
« Rabbi, il est bon que nous soyons ici », bégaie Pierre. « Me voici », répond Abraham à Dieu. Nous voici, Seigneur. Ici et maintenant. Non pas préoccupés par nos objectifs de carême, mais les yeux fixés sur toi, Jésus, le Fils bien-aimé. Par toi, le Père nous invite à ta suite pour entrer dans cette relation inimaginable avec Lui : devenir ses enfants, et dans le même mouvement devenir frères et sœurs les uns des autres. Alors, Seigneur, nous ne voulons pas t’offrir des sacrifices extérieurs à nous-mêmes : nous voulons nous offrir nous-mêmes en « sacrifice d’action de grâce » (Ps 115). Nous voulons apprendre à aimer comme tu aimes. Par l’écoute de ta Parole en ton Fils Jésus-Christ, par cette eucharistie, par ce chemin de carême, nous voulons nous offrir en offrande : à Toi et à ceux qui deviennent nos frères et sœurs. Nous offrir à ce monde que tu aimes et pour qui tu as livré ton Fils, par amour. Nous laisser faire par ton Esprit qui vient renouveler nos cœurs pour les arracher à la mort et les tourner vers toi et vers les autres, dans un seul et même élan, dans un unique mouvement – car c’est tout un. Tu nous révèles ce matin ton projet pour nous : donne-nous de nous laisser transformer et façonner, jusqu’à comprendre, autant que nous le pourrons, ton œuvre en nos vies, et ta résurrection en nous.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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