« Cette Parole est rude ! » Et « beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner », nous dit-on. Ce passage ne peut se comprendre en lui-même. Il nous faut remonter un peu plus haut dans le chapitre : qu’a-t-il donc dit ? Que s’est-il passé pour arriver à une telle crise ?
Les gens ont écouté l’enseignement de Jésus. Ils ont bu ses paroles. Ils ont participé au repas sur l’herbe et à la multiplication des pains. Tous ont été rassasiés. Jésus a eu beau prendre la barque et traverser le lac, les foules l’ont suivi de l’autre côté, avides. Tout allait bien, dans le meilleur des mondes, et soudain, le doute, le découragement. Parce que Jésus a été plus loin dans ses propos : « le vrai pain, c’est ma chair, la vraie boisson, c’est mon sang », leur a-t-il dit. « Il vous faut manger ma chair et boire mon sang. » Inaudible. Incompréhensible. Absurde pour les oreilles qui écoutent. Les disciples pensaient sûrement avoir trouvé quelqu’un de rassurant : un sage, faiseur de miracles, capable de nourrir des foules entières. Voilà quelque chose de sûr, de rassembleur, de clair, de reposant. Nous sommes tous comme ça : on cherche un premier ministre qui fera consensus, et le président consulte. On a besoin d’un curé clairement identifié qui soit sympa et efficace, d’un pape si possible d’accord avec nos idées. Il nous faut des protocoles, des processus, des méthodes, écrire des projets et des feuilles de route, organiser l’espace et le temps et la vie. Pour que tout soit plus simple, pour savoir où on va, pour être rassurés, pour ne pas se perdre. Et avoir de bons leaders. Mais si le Maître se met à raconter des choses incompréhensibles, tout s’effondre et mieux vaut changer de crèmerie.
Les commandements, c’était simple. Il suffisait de les appliquer pour être dans les clous. Voilà quelque chose de rassurant. Mais Jésus ne propose pas de commandements, il dit qu’ils sont tous accomplis dans l’amour. Il ne propose pas une loi, il invite à vivre dans la grâce. Il ne veut pas nourrir nos ventres indéfiniment avec du pain, il veut se donner à nous en chaque eucharistie, autrement plus mystérieusement. Il ne faut plus obéir, mais se donner. Et se recevoir. On ne fait sa vie et son salut tout seul, on se reçoit d’un autre, du Tout-Autre, en communion et en fraternité avec tous les autres. Jésus ne propose pas un pack bien clair et rassurant : il propose une aventure, un risque, un saut dans l’inconnu. Il propose la confiance de la foi.
Ce n’est pas la première fois que la situation se pose dans la Bible. Déjà, au temps de Josué, toutes les tribus avaient été mises au pied du mur : « S’il ne vous plait pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir. » Choisissez en quel dieu, en qui vous voulez mettre votre confiance.
La question nous est posée, à quelques jours de notre nouvelle année pastorale et scolaire, au moment de réfléchir à notre organisation de l’emploi du temps et de nos engagements. A qui voulons-nous aller ? A l’apparente facilité rassurante, ou à la folie de la suite du Christ ?
« Seigneur, à qui irions-nous ? » Il nous suffit de regarder notre histoire personnelle, de relire ses passages et sa présence en nos vies, pour comprendre que Lui seul prend soin de nous à ce point. Que les artifices de tout ce et tous ceux que nous prenons pour des dieux ne durent pas, ne nourrissent pas, ne respectent pas, ne donnent pas vie. Qu’ils nous asservissent plutôt qu’ils nous délivrent. Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle et nous voulons risquer notre vie sur elles, sur ces paroles, pour vivre de ta vie. Encore faut-il ne pas faire de Jésus une nouvelle idole mise sur le même plan que toutes les autres idoles que nous sommes capables de créer… au risque, comme les foules et les disciples dans l’évangile, d’être déçu.
Suivre Jésus, ce n’est pas le suivre bêtement ou béatement, l’écouter uniquement lorsque cela nous plait, ni commenter ses faits et gestes. Faire le choix de suivre Jésus est engageant, parce qu’il nous retire du confort du ventre plein et de la sécurité. Ce choix est engageant parce qu’il nous oblige à non seulement écouter le Seigneur, mais à mettre nos vies, nos jours, nos heures au diapason de sa Parole. Il nous oblige à aimer. A donner notre vie, à « aimer à l’exemple du Christ », disait la lettre de Saint Paul aux Ephésiens, à se donner soi-même sans compter. Dans la foi. Dans l’espérance. Dans l’amour. Il nous oblige à ne pas rester spectateurs ou commentateurs de nos vies et de notre monde, mais à entrer en relation avec les uns et les autres, à entrer dans l’attitude de serviteurs joyeux, tout autant que dans une dynamique d’Alliance avec Dieu lui-même. Et à être libres.
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelles. » Et ces paroles sont Esprit et elles sont Vie. Elles nous arrachent à nos pesanteurs pour nous faire grandir dans l’Alliance et l’Amour. Que cette eucharistie, où nous mangeons ta chair et buvons ton sang, nous donne de mettre toute notre confiance en Toi.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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