Chers frères et sœurs, Peut-être parce que nous avons des catéchumènes au milieu de nous ce matin et que c’est souvent une question qui les travaille ; peut-être aussi parce que le carême est un temps privilégié pour réinterroger notre vie chrétienne à la racine, je voudrais ce matin poser LA question fondamentale qui occupe l’humanité depuis ses origines : qui est Dieu ? En raison de l’invitation que Jésus fait au cœur de l’évangile mais aussi de la difficulté d’une telle interrogation, nous avons souvent tendance à aborder cette question d’une manière assez personnelle : « pour moi, qui est Dieu ? » ou bien à la réserver pour des moments critiques de notre vie : « qui peut bien être Dieu sachant toute la souffrance et toute la misère qu’il y a dans notre monde ? » Non pas que ces questions soient secondaires ou sans importance, mais je crois que les lectures de ce troisième dimanche du carême nous invitent à faire un pas de plus en posant CETTE question de façon plus frontale, non pas seulement « pour moi, qui est Dieu ? », ni « dans telle circonstance, qui peut-il être ? » MAIS simplement « qui est Dieu ? » Et me voilà embêté ! Car je reconnais bien humblement que je n’ai aucun moyen en moi-même pour y répondre. D’ailleurs, si je tentais de le faire à l’aide de ma petite expérience ou de mes connaissances, il serait bien évident que je ne décrirai pas Dieu en lui-même, mais que je construirai un dieu à mon image, à mon échelle, en projetant sur lui tous mes défauts et mes limites. C’est pourquoi, je n’ai d’autre moyen que d’avouer que je ne peux pas le trouver par moi-même. Mais, à bien y réfléchir, ce n’est pas très grave ! Car c’est précisément au cœur de cette ignorance que Dieu vient à ma rencontre. L’aveu de faiblesse de l’homme est une brèche dans laquelle il vient s’immiscer. Par là, il vient SE RÉVÉLER. C’est, en effet, ce qui arrive à Moïse lorsqu’il conduit le troupeau « par-delà le désert ». Le patriarche ne cherche rien. Il fait simplement un détour pour voir ce buisson qui brûle sans se consumer. Et c’est là que Dieu vient à sa rencontre pour lui révéler son nom et sa mission. C’est cette même expérience qui est souvent racontée par les catéchumènes qui frappent à la porte de l’Eglise. Sans avoir les mots pour le dire, ni savoir comment le décrire, beaucoup témoignent que c’est Dieu a été à l’initiative de leur conversion ; que c’est LUI est venu à eux pour SE RÉVÉLER. C’est pourquoi, chers frères et sœurs, je crois qu’il y a dans ce récit du « buisson ardent » une sorte de paradigme, une expérience fondamentale qui permet à l’homme de répondre à cette question ancestrale. En ces quelques versets, Dieu révèle son nom. Il vient auprès de Moïse pour lui dévoiler qui il est. C’est pourquoi, chers frères et sœurs, je vous propose ce matin de passer quelques instants à contempler ce récit de l’Exode qui a façonné des générations de chercheurs de Dieu. D’abord, comme c’est souvent le cas dans la Bible, remarquons que les premiers mots de Dieu forment un APPEL. Du milieu du buisson, Dieu appelle : « Moïse, Moïse ». Cela peut paraître insignifiant, mais c’est d’une grande importance. Car cela nous dit que Dieu n’est pas un Être indifférent au monde. Il n’est pas une sorte de grand horloger qui règlerait le cours des astres d’une manière mécanique. Le Tout-puissant appelle UN homme. Et il l’appelle par son NOM pour entrer dans une relation personnelle avec lui.
Ce n’est pas l’homme qui s’est dit un jour qu’il pouvait connaître Dieu. C’est Dieu lui-même qui a franchi la distance infinie qui le sépare du monde pour l’appeler personnellement par notre nom. A ce propos, je me souviens d’une conversation tenue un jour avec une personne qui avait un mal fou à comprendre comment je pouvais croire en Dieu. Son raisonnement était le suivant : Si Dieu a vraiment tout créé, s’il est vraiment le principe de l’univers, comment peux-tu croire qu’il s’intéresse à une chose aussi petite que toi ? Comment peux-tu croire qu’il puisse répondre à tes petits problèmes ? Je dois vous avouer que cette question m’a longtemps troublé ! Jusqu’au jour où j’ai compris que cette personne n’avait pas du tout compris qui était véritablement Dieu. Sa puissance ne se cantonne pas dans sa capacité à gérer de grandes choses… Bien au contraire, Dieu est tout-puissant PRÉCISÉMENT parce qu’il est capable de s’occuper de ce qu’il y a de plus petit, de plus infime sans cesser d’être lui-même. Dieu est celui qui peut appeler « Moïse, Moïse » dans le désert d’Egypte mais qui peut appeler aussi « Kéryan », « Caroline », « Manon » au XXIème siècle pour se révéler à chacun d’eux d’une manière personnelle. Notre Dieu est le « Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob ». Il est celui qui entre en relation avec chacun d’entre nous pour nous conduire à lui.
Bien sûr, il ne veut pas le faire n’importe comment. Et face à la curiosité de Moïse, il le met aussitôt en garde : « n’approche pas d’ici ! retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ». C’est un deuxième enseignement précieux de ce récit : ce n’est pas parce que Dieu se fait proche, qu’il cesse d’être le Tout-autre. On en a bien conscience dès que l’on est familier de la prière. Dès que l’on veut mettre la main sur Dieu, il nous échappe. Dès que l’on croit pouvoir l’enfermer dans un concept ou une idée, il se dérobe. C’est d’ailleurs le sens de son nom intraduisible : « Je suis qui je suis ». La tradition juive, dans sa grande sagesse, est très attachée à cette transcendance du nom divin. Un nom imprononçable. Un nom qui est révélateur de la grandeur de Dieu qui a TOUJOURS la préséance sur l’homme. Sur ce point encore, les catéchumènes sont souvent nos maîtres. Car dans leur soif de connaître, ils nous poussent à ne jamais arrêter de nous questionner. Ils ne se satisfont jamais de nos réponses toutes faites et de nos tentatives de leur répondre par des idées trop bien huilées et donc trop humaines. Face à eux, comme Moïse face au peuple hébreu, nous devons souvent nous contenter de dire avec humilité : « Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous ». Pourquoi ? Pour vous libérer ! C’est d’ailleurs le dernier message dont je voudrais parler ce matin. Sur l’Horeb, Dieu dit à Moïse : « j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. (…) Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Egypte mon peuple, le peuple d’d’Israël ». En apparence, cette parole nous parle plus de l’humanité que de Dieu ! Mais en réalité, je crois que ce souci de « son peuple » révèle profondément qui il est. « Celui qui est » est le Dieu qui LIBÈRE de l’esclavage. C’est d’ailleurs là que l’humanité entre en scène. Car Dieu ne veut pas exercer cette mission seul. Il APPELLE et il ENVOIE : « Maintenant donc, va ! ».
Je crois, chers frères et sœurs, que nous sommes nous aussi compris dans cet appel. Appelés par notre nom le jour de notre baptême, nous sommes appelés à aller ! Aller à la suite du Christ pour annoncer une libération au monde : le Christ Jésus est mort par amour pour chaque homme. Il est ressuscité par amour pour chaque homme Pourquoi ? Précisément pour nous libérer. C’est cette expérience mystérieuse à laquelle Manon, Kéryan et Caroline se sentent appelés en ces jours qui les séparent de leur baptême. Et c’est pour cela qu’ils ont besoin de nous. Alors accompagnons-les par notre prière et notre présence fraternelle. Dieu leur a révélé son nom. Il veut maintenant les appeler à vivre leur vocation : suivre le Christ comme tant de saints avant eux, des hommes et des femmes qui se sont laissés chercher par Dieu et qui demeurent aujourd’hui en sa présence. Amen.
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