Lorsqu’on est prédicateur, il est des textes d’Evangile qu’on imagine ne pas à avoir commenter. Les mots de Jésus sont si clairs, si sûrs, si transparents, qu’on ne voit pas trop quoi ajouter. Car ces mots ne sont pas seulement clairs, ils sont aussi vertigineux : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent… A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue… Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… » Que voulez-vous ajouter à cette Parole ? Elle nous renvoie instantanément à la fois à la grandeur de notre vie et de notre appel divin, et à la petitesse de notre condition. Car si notre cœur est désireux de vivre à cette hauteur d’amour, nous voyons bien combien nous en sommes loin dans notre vie de tous les jours. Comment aimer à cette hauteur, avec cette largeur et cette profondeur, avec cette vérité et cette espérance ?
D’autant qu’il faut toujours nous rappeler que si l’Evangile nous appelle sans cesse à nous convertir et à changer de vie, elle n’est pas une somme de morale à appliquer, mais la source d’une Révélation plus grande concernant Dieu et nous-mêmes.
Viennent alors les mots de Saint Paul : « Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. » Ces mots le disent à leur manière : ils parlent de notre identité la plus profonde, la plus grande et la plus insondable. Ils disent ce que nous sommes, le mystère que nous sommes, à la fois de terre et de ciel, de glaise et d’Esprit, de visible et d’invisible, d’ombre et de lumière. D’Adam et de Christ.
Nous pouvons passer notre temps à ne voir que le côté argileux, fragile de notre humanité. Nous pouvons même nous plaindre sans cesse de cet état de pécheur. Il n’est pas difficile de regarder en nous-mêmes d’abord, et ensuite le monde qui nous entoure, pour ne voir que noirceur et désespérance. Qui est réellement capable d’aimer à ce point de l’évangile, d’être miséricordieux comme le Père ? Mais cela n’est pas voir qui nous sommes vraiment. Car il est en l’homme, en chacun de nous, en chacun des hommes, même de notre voisin, de notre collègue, de notre patron, de notre frère ou sœur, de notre prochain, d’être aussi capable d’aimer – pour la simple raison qu’il en a été rendu capable par Dieu lui-même, qui l’appelle encore et encore à cette capacité d’amour qui va jusqu’au don de sa vie, jusqu’à l’amour l’amour sans retour, jusqu’à l’amour des ennemis. C’est dans notre ADN et dans l’ADN de chacun – plus ou moins bien enfoui, me direz-vous. Regard d’espérance. Expérience d’espérance et de réalisme théologal qui nous fait entrer dans une vision plus grande, plus large, plus profonde que ce que voient nos yeux et ce que pressent notre cœur au premier abord. Evidemment, il est des ennemis difficiles à aimer. Comment ne le seraient-ils pas ? Mais avant d’être question de morale, avant d’être des « gens biens et gentils », il est question de dignité, de reconnaissance de notre humanité commune, et de participation au projet de Dieu qui se donne de façon totale à chacun de nous, qui que nous soyons. Il ne s’agit pas de regarder le monde – et nous-mêmes – à partir de notre regard, mais de regarder le monde – et nous-mêmes – avec le regard de Dieu, et d’entrer dans ses dispositions. Non pour nous prendre pour Dieu mais parce que là est notre place, celle à laquelle Il nous attend, pour laquelle il nous a fait.
Les histoires de nos relations, parfois compliquées, tortueuses, violentes, peuvent nous épuiser, nous fatiguer, nous aigrir et durcir notre cœur. Mais notre cœur sait qu’il est appelé à dépasser ces ressentis pour vivre quelque chose de plus grand, qui apporte la paix. Saül en fait l’expérience et le comprends dans le témoignage de David, qui avait toute latitude pour éliminer celui qui voulait le faire mourir, et qui préfère lui laisser la vie sauve. Parce qu’il en va de la dignité de notre humanité. Non seulement celle de Saül, mais aussi celle de David. Il n’est de véritable humanité que celle révélée par la puissance du Christ, qui répond à la violence et à la haine par l’amour et le pardon. Jésus n’est alors pas « hors de lui », comme on le dit de quelqu’un qui s’emporte et qui n’aime plus. Mais il est lui-même, révélant notre véritable identité, notre véritable humanité.
Que cette Parole de Dieu aujourd’hui nous fasse grandir non seulement dans nos relations entre nous et avec tous ceux qui nous entourent, pour être artisans de paix partout où il y en a besoin. Mais qu’elle nous aide aussi à découvrir de quoi nous sommes capables et à quoi nous sommes appelés, ce pour quoi Dieu nous fait confiance, jusque-là. Oui, en notre humanité, devenons toujours davantage des enfants de Lumière, des enfants du jour, des enfants du Père.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Homélie du 23 février 2025, par le P. Benoît Lecomte
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