Homélie du 22 septembre 2024, par le P. Maxime Petit

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 22 septembre 2024

« Être à côté de la plaque ». Expression française, dont l’origine est incertaine, qui signifie répondre à côté de la question, se tromper complètement ou être hors sujet. Je crois, chers frères et sœurs, que l’on peut dire sans prendre de risque que les apôtres, dans l’épisode que nous venons d’entendre, sont à côté de la plaque… et bien comme il le faut !

Jésus – on l’imagine avec une certaine gravité – vient de leur prédire ce qui va se produire lors de leur prochaine arrivée à Jérusalem. Et il ne mâche pas ses mots : le Fils de l’homme va être livré, être tué et trois jours après ressusciter. Mais les apôtres semblent complètement en décalage par rapport à cet enseignement : ils cherchent à savoir qui, parmi eux, est le plus grand… Cet épisode n’est pas très flatteur. Les apôtres y passent pour des imbéciles, incapables de saisir que Jésus est en train de leur faire une révélation capitale. Si bien qu’on en vient même à se demander pourquoi saint Marc prend la peine de relater un tel récit.

Pourtant, et c’est ce qui m’a marqué en préparant cette homélie, si on le situe dans la structure globale de l’évangile, on se rend compte que ce décalage entre l’enseignement de Jésus et la réaction des apôtres est tout à fait calculé par l’évangéliste. Non pas qu’il veuille à tout prix faire passer les apôtres pour des imbéciles, mais parce que de manière paradoxale, il nous donne de saisir par là combien il est difficile d’entrer dans la révélation du mystère pascal. A ce titre, ce récit pourtant peu reluisant paraît central.

Pour s’en convaincre, je vous propose que nous regardions d’abord la scène du côté des apôtres. Dans cette scène, une alternative se pose : les apôtres sont-ils incapables de comprendre ce que Jésus leur annonce ? Ou bien ne VEULENT-ils pas le comprendre ? Les deux interprétations sont possibles. Mais personnellement, je pencherais plutôt pour la seconde. Car, lorsque Jésus annonce sa Passion, les disciples ont peur de l’interroger. A mon sens, ils ont surtout peur que Jésus développe son propos parce qu’ils pressentent bien que cela ne va pas être une partie de plaisir. Ils ne veulent surtout pas avoir trop de détails sur cette affaire qui paraît dramatique. Leur ignorance leur permet en quelque sorte de ne pas remettre en question leur choix de s’être mis à la suite de Jésus, qu’ils pensent être LE Messie qui va libérer Israël. A mon avis, leur petite querelle pour savoir qui est le plus grand n’est d’ailleurs pas étrangère à cette ignorance volontaire. En voulant être le plus grand, le plus important, chacun continue de ce bercer d’illusion. Chacun s’imagine bras droit du futur Roi d’Israël. Chacun se voit déjà à la tête d’une armée nombreuse pour botter le derrière de l’envahisseur romain.

Maintenant, regardons la scène du côté de Jésus. Car, cet épisode qui ne paye pas de mine, nous révèle de l’intérieur un des enjeux de son ministère public : il doit montrer à ses apôtres qu’il n’y a pas de contradiction entre le fait d’être le Messie – qui guérit les aveugles, lit dans les cœurs, convertit les foules – ET le fait d’être « livré aux mains des hommes ». Il DOIT leur permettre d’intégrer cette non-contradiction pour préparer la naissance de l’Eglise. Et cela lui demande beaucoup de temps et une véritable pédagogie.

Souvenons-nous à ce propos que ce n’est pas la première fois qu’il prédit sa Passion prochaine. Nous l’entendions la semaine dernière. Déjà, il avait eu du mal à faire accepter à Pierre une telle révélation. Ce sera encore le cas au chapitre suivant, alors qu’il annoncera pour la troisième fois sa Passion. Les apôtres feront mine d’être offusqués par la demande de Madame Zébédée qui veut que ses deux fils siègent à droite et à gauche de Jésus… Révélant par là leur ambition commune… et pourtant inavouable.

Trois fois. Trois fois, Jésus doit annoncer sa Passion pour que ses apôtres puissent saisir le sens profond du mystère pascal. Et dans la scène d’aujourd’hui, il le fait par un procédé nouveau, par un geste prophétique, plus parlant peut-être que des mots pour montrer ce qu’est la vraie grandeur. Jésus prend un enfant dans ses bras et le place au centre. Ce geste paraît plus décalé encore que la querelle pour savoir qui est le plus grand. Lui aussi, semble à côté de la plaque ! Mais contrairement à ses disciples, c’est parfaitement contrôlé et c’est même voulu. Car par ce geste, il les désarme. Par opposition à leur volonté de briller politiquement ou socialement, il leur demande d’accueillir EN SON NOM celui qui ignore encore tout de la politique et du rang social : un enfant, personne la plus insignifiante de la société d’alors.

          Je ne sais pas vous, chers frères et sœurs, mais la stratégie de Jésus, retransmise par le génie littéraire de saint Marc, atteint sa cible en moi. En relisant avec attention cet évangile, je me rends compte qu’en réalité, je suis moi-même à côté de la plaque, peut-être plus encore que les apôtres.

Comme avec eux, Jésus use d’une grande pédagogie pour me faire comprendre la nécessité de me mettre à sa suite… Il le fait en me mettant sous le nez bien des signes de son amour. Et moi, au lieu de me laisser saisir, je préfère me comparer sans cesse avec les autres… Ceux qui ont une plus belle voiture, ceux qui ont une famille plus parfaite, ceux qui ont des amis plus fidèles, ceux qui sont plus grands, plus beaux, plus riches, plus populaires. Moi aussi, comme les apôtres, je mets facilement un voile sur mes yeux, pour ne pas trop penser au chemin de conversion qui me paraît plus raide, plus escarpé et moins gratifiant.

C’est alors que Jésus, avec beaucoup de douceur et de tendresse, mets devant moi des pauvres qui n’ont pas de lieu où dormir, des ados qui manquent cruellement de repères, des personnes âgées accablées par le poids des années. A leur contact, le voile tombe. Car on ne peut pas se mentir lorsqu’on est en face de la pauvreté d’un autre. On se rend vite compte que l’on est démuni et que nous ne pourrons porter du fruit qu’à une condition : en se mettant humblement à la suite de Jésus, en imitant le don de sa vie, sa vie offerte pour nous sauver.

Voilà certainement, chers frères et sœurs, un des enseignements majeurs de l’évangile de ce jour : accepter de regarder Jésus en face, vraiment en face. Comment ? En nous mettant au service de ceux qui sont aujourd’hui insignifiants dans notre société. Jésus nous le demande avec insistance aujourd’hui. Il nous demande de prendre les moyens de le faire. Et il y adjoint une promesse : accueillir en son nom les pauvres et les petits, c’est l’accueillir lui-même. Et l’accueillir, c’est accueillir la Trinité tout entière : le Père de toute miséricorde, le Fils qui donne sa vie par amour et l’Esprit qui nous conduit au Ciel. Amen.

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