Visitation. Elles sont belles, ces femmes enceintes qui se rendent visite. La jeune, toujours vierge, et la vieille cousine, pourtant stérile, porteuses toutes deux de la vie. Elles sont belles et joyeuses, dynamisées par ce qui leur arrive, remplies d’Esprit Saint. L’une et l’autre portent le secret d’une rencontre avec Dieu venu les visiter. On les imagine à la fois émues de ce choix de Dieu, et dans l’incompréhension de saisir la portée de l’événement. L’une et l’autre ont besoin de se rencontrer, certainement de partager leurs histoires, leurs questions, de prier et de chanter ensemble. Et de méditer, dans leurs cœurs, ce qui arrive dans leurs corps. La jeune se met en route avec empressement vers la région montagneuse. La vieille cousine ouvre ses bras et les portes de sa maison avec tout autant d’empressement. Leurs hommes ne sont pas là : l’un doit travailler, l’autre est devenu muet. Histoire de femmes qui ont des choses à se dire entre elles, parce que ce qu’elles vivent les dépasse.
Visitation de l’invisible. Les bébés aussi communiquent entre eux. On ne les voit pas, mais ces deux femmes les sentent. L’enfant que porte Elisabeth tressaille à l’arrivée de l’enfant que porte Marie. La joie est communicative, et elle vient de lui, le petit de Marie, qui ouvre sa joie à tous. Qui met en mouvement, en dynamisme, en jubilation, en espérance, en attente.
Mystérieusement, Dieu a pris corps, il a pris chair, et il est venu habiter le corps d’une femme pour habiter toute l’humanité. Il est venu planter sa tente parmi nous, et plus encore, en nous pour accomplir son projet d’amour et d’alliance avec nous. Pour être « Dieu-avec-nous », « Emmanuel », dit-on en hébreux. « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps […] J’ai dit : ‘Me voici’ », fait dire à Jésus la Lettre aux Hébreux, « en entrant dans le monde. » Et il est là, le Dieu éternel, le Dieu Tout-Puissant. Il est là, « fruit des entrailles » de Marie, fruit d’une femme du peuple. Il prend vraiment corps, se rendant dépendant d’un corps, celui de sa mère. Visitation jusqu’à l’extrême : Dieu vient visiter son peuple. Non pas comme on visite un musée avec curiosité ou intérêt, ou comme on fait une visite d’inspection pour examiner ou vérifier que tout est en ordre, non plus comme on vient voir quelqu’un pour prendre quelques nouvelles en repartant quelques instants plus tard. Mais comme la manifestation d’un événement, d’une présence offerte à l’autre, comme le don éprouvé dans la chair d’une présence indicible, comme l’expérience d’un amour infini qui vient tout bouleverser en apportant la paix. Visitation comme une révélation, un dévoilement.
On comprend l’empressement de Marie et le cri de joie d’Elisabeth.
Visitation. Un jour du temps, il y a deux milles ans, et chaque jour du temps. Aujourd’hui encore, et demain, et après-demain et les jours suivants. Visitation de Dieu au creux de notre humanité. Dieu-avec-nous. Comme jadis en Marie, il veut et il vient prendre corps en nous.
En sa Parole, devenue créatrice.
En cette eucharistie, corps devenu pain et nourriture pour la vie éternelle.
En l’Eglise, continuation de la Visitation de Dieu au cœur du monde, déployant la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre et de l’Homme.
En chacun de nous, pour peu que nous lui laissions la place. Toute la place, comme Marie ou Elisabeth. Toute la place jusqu’en nos stérilités, nos ténèbres et notre péché. Puisque de l’absence de vie et de la non possibilité de vie, Dieu fait jaillir la vie.
Les vacances de Noël commencent. Avec elles, les voyages pour aller chez les uns et chez les autres, retrouver la famille et la belle famille, quelques amis aussi, au passage. Pour faire la fête, échanger quelques cadeaux, partager des moments que l’on espère bons. Les trains sont déjà bondés, les autoroutes seront chargées… Nous allons nous rendre visites.
Que ces visites deviennent « visitations », événement de miséricorde, de joie et de salut de Dieu, visitation comme celle de Marie et Elisabeth, visitation comme celle de Dieu avec elles, comme celle de Dieu avec nous. Que ces visites soient nourries de la présence de Dieu-avec-nous, de Dieu au milieu de nous, de Dieu venu faire sa demeure en nous. Que ces visites deviennent non pas uniquement lieu du partage des nouvelles et des repas, mais aussi lieu du partage de la joie de Dieu tressaillant en nous, lieu de l’action de grâce, de la louange, de la vie dans l’Esprit Saint, de la prière et de la méditation.
Noël est à ce prix… Noël est ce don. Le don de Dieu qui se donne à nous. Comme en Marie. Et par Marie.
Heureux ceux qui croient à cet accomplissement et qui en vivent.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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