Dans l’évangile selon Saint Luc, on connaît par cœur cet épisode de l’Annonciation, où l’ange Gabriel vient rendre visite à Marie pour lui annoncer qu’elle va donner naissance à un fils auquel elle donnera le nom de Jésus. « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin », dit encore l’ange, dans son dialogue avec la jeune fille qui répond par son célèbre « Je suis la servante du Seigneur, que tout se passe pour moi selon ta parole ». Dans l’évangile selon Saint Matthieu, l’annonce n’est pas faite à Marie, mais à Joseph. Et pas au cours d’un dialogue, mais dans un songe, empêchant toute réponse verbale de Joseph.
On imagine l’angoisse et l’inquiétude, peut-être même l’incompréhension de Joseph, quand il apprit que sa promise était enceinte d’un autre que lui. On imagine qu’il a fait défiler dans sa tête, de jour comme de nuit, toutes les solutions qui pouvaient s’offrir à lui et à la situation qui se présentait alors. Le défi de Joseph est, comme Marie, d’accueillir cet enfant. Non pas à la manière d’une mère, qui va le porter en son sein plusieurs mois, mais à la manière d’un père, qui reçoit un enfant de l’extérieur de lui-même et qui doit l’accueillir comme venant de lui. Plus encore, en l’occurrence, il faudra l’accueillir même s’il ne vient pas de lui. C’est ce que vient annoncer l’ange dans le songe. « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse », dit la fin du récit. Joseph va consentir à la parole de l’ange et au désir de Dieu. Sa présence et son attitude peuvent nous aider à nous préparer aux fêtes de Noël qui approchent.
D’abord en reprenant conscience que Jésus n’arrive pas n’importe où et n’importe comment. Par Joseph, il prend place dans une lignée, et une ligné royale, celle de David. Il prend ainsi place dans une promesse et l’attente de sa réalisation : celle d’un Sauveur. Il prend place dans l’histoire d’un Peuple, dont il épouse tous les contours. Quand Dieu se fait homme, il ne tombe pas du ciel. Il remonte de la terre, des joies et des errances d’un Peuple, il s’inscrit dans une lignée. On l’appellera « Dieu-avec-nous » : « avec-nous » pas seulement au moment de l’incarnation du Fils, mais « avec-nous » de toujours à toujours. La venue de Jésus et son adoption dans la famille de Joseph nous rappellent que Dieu ne nous a jamais quitté, il ne nous a jamais abandonné. C’était vrai avant Jésus, dès les commencements. C’est visible durant le temps de la vie terrestre de Jésus, en partageant nos routes humaines. C’est encore vrai depuis la résurrection de Jésus : Dieu s’inscrit au sein de notre famille. Il s’y inscrit jusque dans les méandres de nos histoires personnelles et familiales, avec leurs lumières et leurs zones d’ombres. Il ne fait pas semblant de nous rejoindre, il ne vient pas d’ailleurs, il est là, « avec-nous » comme il est « de la ligné » de Joseph et de David. Joseph nous invite à relire, découvrir, contempler, et même louer cette présence de Dieu au milieu de nos vies. Nous nous apprêtons à fêter Noël. Que cette fête ne soit pas celle d’un événement extérieur à nos vies, mais celle de la reconnaissance joyeuse de la présence fidèle de « Dieu-avec-nous », au sein de ce que nous faisons et vivons.
Mais il ne suffit pas de savoir que Dieu prend place dans notre histoire, encore faut-il l’accueillir. C’est tout le défi qui est lancé à Joseph, et qu’il accepte, comme Marie, dans la confiance et l’ouverture du cœur. Me reviennent les mots du pape François dans sa lettre « Patris Corde » à propos de Joseph : « La vie spirituelle que Joseph nous montre n’est pas un chemin qui explique, mais un chemin qui accueille. C’est seulement à partir de cet accueil, de cette réconciliation, qu’on peut aussi entrevoir une histoire plus grande, un sens plus profond. […] Joseph n’est pas un homme passivement résigné. Il est fortement et courageusement engagé. L’accueil est un moyen par lequel le don de force qui nous vient du Saint Esprit se manifeste dans notre vie. Seul le Seigneur peut nous donner la force d’accueillir la vie telle qu’elle est, de faire aussi place à cette partie contradictoire, inattendue, décevante de l’existence » (PC, 4). Car les plans de Joseph ont été sérieusement contrariés. Mais il s’y engage volontairement et librement (c’est à lui que revient de donner le prénom à l’enfant). L’aventure avec Dieu ne nous laisse pas tranquille dans les sillons que nous avons nous-mêmes creusés. Elle nous déplace, comme elle déplace Joseph. Et il nous faut faire, nous aussi, l’expérience de cette écoute de la Parole de Dieu jusqu’à en être déplacés, désinstallés, projetés dans l’inconfort.
Le Mystère de Noël n’est décidément pas ce qu’on veut en faire en le réduisant à une fête enfantine. Il est l’accueil mystérieux et engageant, douloureux parfois, et exigeant, de la présence de Dieu dans nos vies, qui vient transformer nos vies pour les accorder, et accorder toute notre existence, à la beauté et à la gloire de Dieu.
Ce matin, Joseph nous invite à prendre sa suite, dans cet accueil, dès aujourd’hui. Il vient en toi, en nous, en notre monde, Celui que le monde attend. Faisons-lui place, encore, pour qu’il nous mène à notre accomplissement.
Amen.
P. Benoît Lecomte






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