Homélie du 20 septembre 2020 par le P. Benoît

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 20 septembre 2020

Une histoire de vignes en pleine période de vendanges. Voilà qui est bienvenu. Je me rappelle lorsque j’étais collégiens, ces matins où j’attendais le bus dans mon petit village de l’Aude, entre 7h et 7h15. En septembre, passaient devant nous les tracteurs et leurs remorques dans lesquels s’entassaient les vendangeurs espagnols qui partaient à la vigne, hottes déjà sur le dos. Les ouvriers du petit matin, qui allaient vendanger toute la journée. Evangile en acte : ces ouvriers avaient été embauchés par le maître du domaine qui certainement s’était mis d’accord avec eux sur leur salaire. Mais dans la parabole, voilà que le maître revient sur la place à plusieurs reprises et ne cesse d’embaucher ceux qu’il croise.

Joie. Ceux qui cherchent du travail le savent mieux que personne : qu’il est difficile de ne jamais être appelé ! Ceux qui ont envoyé des CV et n’ont jamais eu aucune réponse savent combien il est difficile de se sentir oublié, inutile, mis de côté, transparent ! Rien de cela avec Dieu. Dieu embauche. Dieu appelle. Dieu ne cesse d’appeler. Dieu appelle toute la journée, sans se lasser. « Allez à ma vigne, vous aussi », même si c’est la dernière heure du jour. Grandeur de Dieu qui ne regarde pas au rendement, ni ne calcule à la dépense. « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées », disait-il déjà par la bouche d’Isaïe. Dieu ne pense pas comme nous, ou nous ne pensons pas comme lui. Et si nous voyons nos voisins, ou si nous nous voyons nous-mêmes (ce qui est peut-être plus fréquent encore), comme moins capables, moins compétents, moins disponibles, moins savants, moins cultivés, moins priants, moins religieux, trop vieux, trop jeune, trop malade ou je ne sais quelle excuse ou peur pour ne pas accepter de nous laisser embaucher à la vigne de l’Église et du monde, sûrement faisons-nous là une erreur. Le Royaume de Dieu, l’Église, le Monde ont besoin de chacun. Et le regard de Dieu ne fait pas de différence. Il invite, il invite, et il invite encore. Il accueille, il donne une place et il offre la joie de servir là où nous nous trouvons. A nous tous d’entrer dans ce regard qui réchauffe et relève, qui appelle et envoie. Ne serait-ce pas là une force de nos paroisses, de nos diocèses, de notre Eglise, que de savoir laisser à chacun prendre sa place, quelle qu’elle soit, pour le bien de tous ? Repensons à la comparaison paulinienne du Corps, où chacun des membres dans leur complémentarité sont indispensables à la vie de l’ensemble. Puissions-nous, ensemble, ne laisser personne sur la place du village. Puissions-nous, dans le secret de nos cœurs et de nos consciences, accepter d’entendre les appels qui nous sont envoyés pour offrir ce que nous pouvons offrir et grandir avec tout le Corps, pour que la vendange soit belle et savoureuse !

Mais allons plus loin. Utiliser cette page d’Evangile pour motiver tous les paroissiens à s’engager d’une façon ou d’une autre, serait utiliser cette page d’Evangile. C’est bien un discours de curé ! Mais l’on n’utilise pas la Parole. On la reçoit comme Bonne Nouvelle de la révélation de Dieu. Et le premier appel que Dieu lance n’est peut-être pas de s’engager dans la paroisse – même si cela peut aider à faire vivre la paroisse et l’Église à laquelle nous tenons. Le premier appel que Dieu lance à tous ces ouvriers que nous sommes, tous de la même humanité d’où que nous soyons et quelque soit notre histoire, notre culture et même notre religion, le premier appel, le plus fondamental, est l’appel à vivre et à aimer. Là est le travail de la vigne, le véritable travail du Royaume de Dieu. Et Dieu ne cesse de nous appeler à vivre et à aimer. Là encore, sans se lasser. Là encore, inconditionnellement. Dieu ne veut pas d’abord que tu fasses telle ou telle chose. Dieu veut d’abord que tu vives et que tu sois vivant, c’est-à-dire que ta vie soit belle et pleine d’amour avec et pour tous ceux qui t’entourent. Voilà peut-être le travail le plus fou et le plus fondamental pour lequel il nous faut sans cesse entendre l’appel de Dieu. Et le « salaire », évidemment, est sans mesure. Il n’est toujours que ce que Dieu peut nous donner : la plénitude de son amour et de sa présence au milieu de nous. Impossible pour lui de donner davantage à l’un plutôt qu’à l’autre, fut-il le premier ou le dernier ouvrier du jour ! Dieu n’est pas un entrepreneur comme un autre, il n’est pas un Dieu avec lequel on marchande ou on négocie. Pour lui, pas de plan de relance ni d’exonération fiscale. Ses pensées ne sont pas les nôtres et sa mesure est sans mesure devant nos petites mesures. Quand il se donne, il se donne, entièrement, sans compter. Et il ne cesse de se donner à nous, dans sa Parole, dans son eucharistie, dans les sacrements, dans la présence des pauvres, dans la beauté de sa Création. Dans ce denier offert aux ouvriers, dans cette hostie que tu vas recevoir tout à l’heure, dans cet Evangile où tout est dit, il se donne totalement. Amour de tout Amour. Pour que par ce salaire, tu vives à ton tour de l’Amour et que tu entres, autant qu’il nous est possible, dans ses pensées et sur son chemin à Lui.

Que cette page d’Evangile nous donne véritablement de vivre dans l’action de grâce et dans l’engagement au service de nos frères et sœurs. Là est le secret du Maître du domaine et du bonheur de notre existence. « La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse pour toute ses œuvres » (Ps). Entrons dans cette bonté, cette tendresse et cet amour vivant.

Amen.

P. Benoît Lecomte

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