Chers frères et sœurs, parce que depuis notre enfance on nous répète qu’il est très impoli de nous servir avant les autres, notre première réaction en entendant la demande de Jacques et de Jean, c’est de nous offusquer ! Comment ces deux-là peuvent-ils avoir le culot d’une telle demande ? Comment osent-ils jouer ainsi des coudes pour se saisir des deux meilleures places à la barbe des autres ? On pourrait comparer ce manque de savoir-vivre à celui d’invités que l’on aurait conviés pour 20h et qui arriveraient à 17h pour se servir dans le frigo ! Vraiment, ça ne se fait pas ! Et l’on a donc tendance, à la lecture de cet évangile, à se ranger du côté des dix autres qui s’indignent contre Jacques et Jean.
Chers frères et sœurs, au risque de passer pour un goujat, je voudrais prendre le contre-pied de cette réaction naturelle. Non seulement, parce que l’offuscation des apôtres n’est peut-être pas exempte de jalousie… Mais aussi parce que je remarque que Jésus, lui, ne s’offusque pas. On pourrait même dire qu’il invite Jacques et Jean à préciser leur demande : « que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Et poursuit sur le même ton : « pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Oui, à bien y regarder, et sans être dupe de l’ironie déployée ici, on peut dire que Jésus donne le change aux deux frères. Et c’est d’ailleurs ainsi qu’il les conduit à mesurer la portée de leur demande. Car, chers frères et sœurs, contrairement à notre première réaction d’enfants bien élevés, la question des fils de Zébédée peut être considérée comme pertinente… et même courageuse, sachant que Jésus a déjà annoncé à deux reprises sa Passion dans les versets précédents. Oui, vraiment, j’ose l’affirmer : pour moi, la volonté de siéger à la droite et à la gauche de Jésus dans sa gloire n’est pas du tout mauvaise. Il serait même peut-être souhaitable que nous osions le désirer, nous aussi. Voulons-nous siéger à la droite et à la gauche de Jésus dans sa gloire ? Ou pour le dire plus simplement : voulons-nous être des saints ? Pour cela, je crois qu’il est bon de prendre en exemple ces deux frères qui vont voir Jésus pour lui demander de l’accompagner dans sa gloire.
Alors bien entendu, je ne suis pas naïf ! La demande de Jacques et de Jean a besoin d’être purifiée. Et c’est d’ailleurs ce à quoi s’attèle Jésus dans son petit échange avec les deux frères. Que veut dire « boire à la même coupe que lui » ? Si on reprend l’ancien Testament, la majorité des occurrences nous conduisent à la colère de Dieu face au péché de l’hommes. Et que veut dire « être plongé dans le même baptême que Jésus » ? Cela renvoie à un mystère qui comporte une part d’obscurité et de souffrance.
Autrement dit, par cette double question, Jésus fait prendre un virage à 180 degrés à ses deux apôtres qui ont tendance à négliger la première partie de son annonce de la Pâque pour aller directement à la seconde. Jésus, ne veut pas qu’ils abandonnent leur beau désir de siéger avec lui dans la gloire. Seulement, cela ne peut se faire de manière tronquée. La suite du Christ, qu’ils expérimentent déjà depuis qu’ils ont laissé leurs filets et leur père dans leur barque, va passer par la souffrance de la Passion avant d’atteindre la gloire… Et ils seront associés à ce mystère en buvant la coupe et en étant baptisés du même baptême que lui ! Mais pour ce qui est de son trône, il ne peut pas leur accorder, en tout cas pas tout de suite. Car son trône, c’est la croix. Et à ses côtés, il y aura bien deux hommes, crucifiés à sa gauche et à sa droite. Deux hommes qui, fort heureusement, ne seront ni Jacques, ni Jean dont la mission sera bientôt d’être des colonnes de l’Eglise naissante.
Autrement dit, chers frères et sœurs, en ne s’offusquant pas de leur culot, Jésus fait preuve d’une grande pédagogie pour faire entrer ses apôtres dans la profondeur du mystère pascal. Il ne renie leur grand désir d’être associés à sa mission. Mais il donne toute sa dimension à ce grand désir. Tous les apôtres sont alors conviés pour recevoir son enseignement : « celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous ». Enseignement que Jésus ne se contente pas de donner sans le toucher du doigt, comme il le reproche ailleurs aux docteurs de la Loi. Il poursuit en leur montrant l’exemple, en leur donnant au passage une clé pour comprendre sa Passion : « car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
Par là, Jésus ne les invite pas à mourir tout de suite à ses côtés. Il paye à leur place la rançon du péché dont ils ne peuvent s’acquitter. Mais il leur demande très sérieusement d’imiter sa manière d’être le premier : ne pas commander en maîtres ni faire sentir leur pouvoir, MAIS SERVIR. Servir inlassablement, à son exemple. Comme il le dira le soir de son arrestation, après leur avoir lavé les pieds : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
Je crois, chers frères et sœurs, que cette pédagogie déployée par Jésus dans l’évangile de ce jour peut interroger en profondeur notre propre expérience de disciples.
D’abord en osant mesurer notre désir à celui de Jacques et de Jean. Est-ce que, nous aussi, nous désirons siéger aux côtés du Christ dans sa gloire ou bien nous contentons-nous, comme les autres apôtres, d’attendre au tournant ceux qui se lancent dans l’arène ? Nous ne pouvons pas nous contenter d’avoir de petits désirs, de petites espérances ! Le Ciel n’est pas fait pour les autres ! Il est fait pour moi ! Mais pour cela, il faut que j’accepte de me mettre résolument à la suite du Christ. Pas uniquement quand tout va bien, dans les moments de joie et d’exultation, mais aussi dans les difficultés et les épreuves. Jésus m’invite à m’accrocher à lui qui a donné sa vie en rançon pour moi et pour la multitude. Il m’invite, moi aussi, à donner ma vie dans la sienne, non pas en pendant au bois de la croix, mais en faisant preuve de la plus grande des gloires : en me mettant inlassablement au service de mes frères.
Je crois en définitive, chers frères et sœurs, que l’on peut résumer ainsi le message de cette troisième et dernière annonce de la Passion. Jésus demande à chacun d’entre nous, comme aux apôtres : veux-tu être saint ? Alors viens, suis-moi ! mets-toi VRAIMENT au service de tes frères, par amour. Amen.
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