« Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
La réponse de Jacques et Jean est claire, précise, limpide. Mais mettons-nous à leur place. Imaginez que Jésus est là, devant vous, et vous demande : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Que lui répondez-vous ? Non seulement personnellement, mais plus encore si nous élargissons le « vous » à notre humanité, à notre terre, à notre monde. Alors les réponses vont fuser : « Seigneur, arrête les guerres ! Apaise le climat déréglé ! Libère-nous des injustices de toutes sortes ! Mets un terme à toutes les formes de violence ! Supprime les maladies ! Fais disparaître les catastrophes ! Fais taire les mensonges ! Purifie ton Eglise de tout le mal qui l’habite ! Donne-nous des baptisés unis, qui partent joyeusement en mission pour annoncer ton amour et ta présence ! En bref, Seigneur, résous tous nos problèmes ! » Oui ! Que Dieu résolve tous nos problèmes, s’il est Dieu ! Et si Jésus veut faire notre volonté, à la bonne heure, la voilà !
Mais cette question ne permet pas tant à Jésus de connaître nos désirs, que de se faire connaître, Lui, comme le vrai Dieu, révélant le visage du Père. Celui que les Hébreux avaient cherché et dont les prophètes avaient l’intuition : un serviteur souffrant, maudit, persécuté, « broyé » dit Isaïe. Dans sa Lettre, Saint Paul ne parle pas d’un grand prêtre au-dessus de tous les autres, impassible, solennel, supérieur, éblouissant, mais d’un grand prêtre « capable de compatir à nos faiblesses », « éprouvé en toutes choses excepté le péché. »
Voilà le visage de Dieu, la toute-puissance de Dieu.
Il n’est pas celui qui nous donne d’échapper à notre condition, mais celui qui est avec nous (« Emmanuel »). Celui qui est avec ceux qui sont éprouvés. En Ukraine, à Gaza, au Liban, sur tant et tant de terrains de conflits et de violence, auprès des abandonnés des hôpitaux, des prisons, de l’économie et de la rentabilité, des statistiques et des politiques en tous genres. Et peut-être nous aussi, parfois. Il n’est pas le Seigneur des grandeurs, mais de la petitesse, de la coupe versée jusqu’au bout, du plongeon total.
Jacques et Jean ont raison de demander d’être à droite et à gauche de Jésus dans sa gloire. Ils ont raison de désirer les meilleures places. Et Jésus ne le leur reproche pas. Il les invite, simplement, à prendre le chemin pour cela. Boire à la coupe qu’il va boire. C’est-à-dire tenir ici et maintenant dans l’espérance, dans la persévérance, dans la foi. « Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi », disait le psalmiste, rejoignant le cris et la prière de tant de femmes et d’hommes. Boire à la coupe, c’est ne pas s’évader, ne pas fuir, mais tenir, dans le partage, jusqu’au bout, en donnant jusqu’à sa vie.
Et plonger. Plonger avec Jésus et comme lui jusque dans l’abandon la plus totale. Donner sa vie par amour. Baptême de la croix, mourir pour ressusciter avec lui. Il n’est d’autre chemin pour prendre place à ses côtés, pour partager avec lui la gloire du Père, la Lumière de Dieu, la beauté de notre vie.
Renversement des valeurs : « les grands font sentir leur pouvoir », mais « celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. » A l’image de Jésus. Dans sa dynamique. Dans sa suite. C’est là, nous promet Isaïe, que nous trouvons le vrai bonheur. Dans cette vie donnée, le Serviteur « verra une descendance, prolongera ses jours, verra la lumière. » Voilà le visage de Dieu. Cette page d’évangile est avant tout christologique, elle nous parle du Christ. Elle annonce que, contrairement à ce que nous pourrons imaginer en lisant la suite des événements dans l’évangile, le style de vie de Jésus, son engagement jusqu’au bout au côté des plus petits, n’est pas un échec, mais une victoire. Plus encore, une révélation. Un don. Jésus nous donne là la clef pour comprendre le mystère pascal.
Mais il nous invite aussi à orienter notre vie. Jacques et Jean font la course pour être les premiers. Et si nous prenions part nous aussi à cette course avec eux ? Pour être les premiers dans le sillage des paroles de Jésus. Pour avoir le désir de vivre pleinement notre baptême. Pour être serviteurs d’une humanité si souvent perdue et blessée.
Alors notre réponse à la question de Jésus : « Que voulez-vous que je fasse pour vous », ne sera plus une liste de course qui nous dédouanerait de nos responsabilités, de nos engagements, de notre condition. Mais elle sera l’offrande même de nos vies, jusqu’à la coupe, jusqu’au plongeon, jusqu’au service, jusqu’à l’amour, jusqu’au don total. Elle sera notre engagement auprès des plus petits et de ceux qui ont besoin, elle sera notre travail à l’unité de tous, dans l’Eglise et dans le monde, elle sera nos manches retroussées pour devenir artisans du Royaume. Elle sera communion avec Lui, car Il a pris la dernière des dernières places, la place de Serviteur des serviteurs que nous voulons être, et que nous avons besoin de sa présence, de son amour, de son salut, pour grandir dans Sa gloire.
« Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » – Seigneur, donne-nous de siéger à tes côtés dans ton Royaume et dès maintenant, en fils et filles du Père, en serviteurs du monde, en témoins de ta confiance, en disciple de tes mots.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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