Dans les deux récits principaux de ce jour, nous avons la même histoire et la même situation. Aux chênes de Mambré, le Seigneur apparait à Abraham, qui se prosterne, promet un peu d’eau puis demande à sa femme Sarah de préparer un festin avec l’agneau gras et tendre et le meilleur fromage. A Béthanie, Jésus arrive dans la maison de Marthe et Marie. Marie se prosterne et reste aux pieds de Jésus, pendant que Marthe s’affaire à préparer un bon repas à leur hôte.
Il serait trop facile, et un peu usé, de vouloir opposer Marthe et Marie, et avec elles, l’attitude priante et l’attitude servante. L’on sait trop que le service peut aussi être une prière, et que Jésus a dû être heureux de partager le repas avec les deux sœurs ! Dans le couple de nomades, on relève aussi les complémentarités entre Abraham l’extraverti qui court partout pour accueillir celui qui vient, et Sarah qui reste cachée derrière le rideau, et qui va accueillir en se mettant à la tâche. Complémentarité de bien des couples que nous connaissons ! Mais l’un et l’autre accueillent celui qui vient.
Et c’est peut-être cette dimension de l’accueil que la Parole de Dieu met en avant en cette eucharistie. On connaît cette autre parole de Jésus dans l’évangile selon Saint Mathieu : « Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé » (Mt 10, 40), et un peu plus loin dans la parabole du jugement dernier : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35). L’accueil, l’hospitalité, à vivre comme la réponse à une invitation de Dieu et comme l’accomplissement eschatologique de notre vie humaine.
En ces mois d’été, il est peut-être plus facile de prendre le temps de l’accueil : on se laisse accueillir ou on accueille ses enfants, ses parents, ses petits-enfants, ses amis. On se visite les uns les autres. Cet accueil là nous détend, nous réjouis, et il fait du bien, au corps et à l’esprit. Mais il est des accueils plus difficiles à vivre dans le quotidien de nos jours. L’accueil de celui qui pense différemment de nous, bien sûr, ou celui qui croit différemment de nous. Mais aussi l’accueil du rejeté, du méprisé, de celui qu’on préfère ne pas regarder parce qu’il nous renvoie à nos propres pauvretés, de celui que la société essaie de cacher. Le migrant, le réfugié, le sans papier, le détenu, l’enfant à naître non désiré, le malade qui nous fait peur, le vieillard dont on a décidé qu’il coutait trop cher ou que sa vie ne valait plus rien…
« Accueillir l’hôte comme le Christ », dit la règle de Saint Benoît. Accueillir l’hôte comme accueillent Abraham et Sarah, et Marthe et Marie. Accueillir l’autre comme s’il était le Tout-Autre. Sans autre considération que de l’accueillir pour ce qu’il est, avec sa parole, son histoire, ses croyances, ses richesses et ses pauvretés. Sans rien attendre en retour que cette présence, étrange, parfois étrangère, qui bouscule l’habitude et ouvre à un inattendu.
Accueillir l’autre comme on accueillerait Dieu… encore faut-il savoir accueillir ce Dieu qui ne cesse de venir à notre rencontre, depuis Abraham et Marthe et Marie. L’accueillir en dehors de nos catégories toutes faites et bien organisées. L’accueillir tel qu’il se donne et non tel que nous le voulons. Lui ouvrir la porte de notre cœur, lui préparer le repas de fête, et nous mettre à son écoute, à sa présence, à son cœur. « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3, 20), dit-il dans le livre de l’Apocalypse. Ouvrir notre existence, notre histoire, notre vie au Christ. Ne rien garder pour nous. Le laisser entrer pour qu’il fasse toute chose nouvelle. C’est ce que nous voulons par notre baptême, lorsqu’il nous saisit entièrement dans ce plongeon où nous lui donnons tout pour qu’il nous ressuscite avec lui. C’est ce que nous voulons vivre à chaque eucharistie, lorsque nous nous mettons à l’écoute de sa Parole, puis que nous voulons le recevoir dans le pain partagé devenu son Corps, et son Sang. C’est ce que nous voudrons vivre encore lorsque, sortis de ce bâtiment et après la chaleur fraternelle de notre prière commune, nous aurons à accueillir toutes celles et tous ceux que nous rencontrerons, quels qu’ils soient… et à les accueillir comme le Christ.
Comme le clame Saint Paul dans sa lettre aux Colossiens : « Le Christ est parmi vous ! » Et l’Evangile n’est qu’une invitation permanente à accueillir ce Christ, Dieu fait Homme, dans son absolue altérité et dans le visage de tout homme qui se présente à nous.
Soyons des Abraham et des Sarah, des Marthe et des Marie. Laissons-nous déranger par celui qui vient et mettons-nous à son école, par amour désintéressé. Prémices, déjà, d’un monde nouveau, d’une terre nouvelle, d’une humanité réconciliée, du rêve de Dieu enfin réalisé.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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