« L’Église était en paix ; elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait », dit-on dans les Actes des Apôtres. « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples », annonce Jésus dans l’Evangile.
Après les débuts hésitants des apôtres aux lendemains de la résurrection de Jésus, après les premiers pas de l’Église naissante, nous sentons comme une montée en puissance en ce temps pascal. Il ne s’agit plus de découvrir ou d’essayer de comprendre, mais de se déployer, ou de laisser l’Esprit déployer son Eglise selon le dessein de Dieu. Ce dessein de Dieu qui n’est pas celui des hommes, et qui surprend les hommes. Comme Saul, le persécuteur des chrétiens, l’homme dur au cœur fermé, qui est devenu le disciple que Dieu a choisi pour devenir Apôtre – et comment les disciples ont du accueillir cette transformation tellement inattendue. Oui, le dessein de Dieu, comme son Amour, s’étend à toutes les nations, au cœur de tout homme, même du plus éloigné, même du plus fermé, même du plus violent. Et « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toute chose », dit Saint Jean. Il en est ainsi de la puissance de Dieu. Comme de la sève à l’intérieur d’une plante, qui fait germer et pousser et grandir et fleurir la plante. Comme de la sève dans la vigne, qui irrigue tous les sarments reliés à la vigne pour qu’ils portent du fruit. Invitation de Jésus à ce que nous soyons branchés sur lui, connectés à lui, attachés à lui. L’Esprit Saint est cette sève qui nous met en communion avec le Christ. Plus précisément, l’Esprit Saint est cette communion qui nous lie avec le Christ comme il nous lie les uns aux autres, tous sarments d’une même vigne. « Nous reconnaissons que Dieu demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit », entendions-nous. L’Esprit Saint est cette sève divine qui coule en nous et qui nous donne de vivre et de porter du fruit. Kayliah, en étant plongé dans l’eau du baptême ce matin, te voilà membre de cette vigne du Seigneur, témoin aux yeux du monde de la sève divine qui coule dans les veines de tout homme, sarment naissant, vivant de l’Esprit de Dieu.
Mais pour que la plante, ou le sarment, donne du fruit, il faut qu’il soit taillé. Personnellement, je n’aime pas tailler les plantes. J’ai toujours peur de tailler trop, de leur faire du mal, de les amputer de quelque chose. Je trouve que la taille est une action violente : elle tranche, elle coupe, elle enlève. Je n’aimerais pas être une plante qu’on taille. J’aurais envie de me révolter, de ne pas me laisser faire. Pourtant, je sais que si je ne les taille pas, mes plantes, mes arbres, donneront moins de fleurs et moins de fruits. Ce que je considère comme un acte violent est en fait une action libératrice d’énergie et de potentialité, qui vivifie la vie.
« Tout sarment qui porte du fruit, mon Père le purifie en le taillant pour qu’il porte davantage. Mais vous, dit Jésus, vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite. » Le sécateur, c’est l’Evangile. Le sécateur, c’est la Parole de Dieu. « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants », dit la Lettre aux Hébreux (Heb 4, 12). Si nous la prenons pour ce qu’elle est, non pas une parole confortable et rassurante nous confortant dans nos propres idées mais comme la Parole de Dieu qui vient nous émonder, nous tailler. Nous purifier. Kayliah, devient petit à petit un amoureux de cette Parole de Dieu qui taille notre humanité pour le dessein de l’Amour, reviens-y, toujours et toujours, fait la connaître comme un trésor précieux qui donne vie. Il nous faut accepter cette taille. Et donc accepter de perdre. D’être diminué. D’être amputé. Personnellement et communautairement. Pour aimer « non pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. » Car il est facile de parler et de faire parler la Parole de Dieu. Il est plus difficile de se retrouver à nu, comme Saul ou comme les disciples qui l’accueillent, et d’entrer dans le projet de Dieu, dans ce qui est « agréable à ses yeux. » Donner du fruit est à ce prix.
Peut-être se dessine là tout le défi, l’audace et la confiance de l’Église. L’Église, cette vigne aux multiples sarments invitée à porter du fruit à mesure qu’elle se laisse tailler par la Parole et animer de la sève divine. L’Église convoquée non pas pour se tourner sur elle-même pour s’auto-admirer ou au contraire se flageller, mais pour être « en quelque sorte, dans le Christ, le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG1). Voilà la perspective et l’horizon de l’Église et donc aussi de notre communauté paroissiale. « Mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres. » Non seulement nous aimer entre nous, mais aimer toute femme, tout homme, et notre monde comme Dieu l’aime. Inconditionnellement. Infiniment. « Comme il nous l’a commandé. » Aimer en prenant notre part : la vigne ne produit pas du raisin pour elle-même, mais pour qu’il soit vendangé, mangé ou transformé et bu. Pour nourrir et réjouir le cœur de l’homme. Et par nos paroles, notre présence, nos engagements, de nourrir ce monde dans lequel nous vivons en participant à ses propres défis et ses questions. « Il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans le cœur des disciples du Christ… La communauté des chrétiens se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (GS1). Kayliah, comme disciple du Christ, prend désormais ta part dans cette magnifique mission !
On sait trop combien l’Église a pu faillir – et encore aujourd’hui dans des grands ou des petits scandales (mais y a-t-il un petit scandale pour celui qui en est atteint?) – à cette mission d’amour qui porte du fruit dans le monde. Parce qu’elle a voulu nier le monde, ou le ramener à elle, ou se prendre pour le centre, ou chercher ses intérêts… au lieu de se laisser émonder par la Parole et d’être comme le sacrement, c’est-à-dire comme la sève divine qui fait grandir et germer le Royaume de Dieu. Peut-être notre Triathlon de Pentecôte est-il un signe que nous voulons poser de cette Eglise en plein vent, sereine, vivante, joyeuse, donnée, amoureuse et ouverte ! Que notre Eglise d’aujourd’hui et de demain ne dessèche pas comme un vieux sarment, mais reste ouverte à la vie de Dieu, à sa joie, à sa paix, à sa confiance, qu’elle demeure dans Son Amour pour en être signe en notre monde !
Amen, Alléluia !
P. Benoît Lecomte
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