(Célébration des premières communions)
Hier matin, nous nous sommes retrouvés dans cette église avec vous, qui vivez aujourd’hui votre première communion, pour préparer notre célébration. Nous avons répété les chants avec Jean-Charles, écrit les prières, travaillé les déplacements. Et à la fin de la rencontre, alors que les uns et les autres repartaient ou attendaient leurs parents, l’une d’entre vous m’a posé une question en faisant une grimace d’incompréhension : « Mais demain… ce sera du pain, non ? Alors ça ne peut pas être le Corps du Christ, si c’est du pain ! » A toi qui poses cette question, je voudrais te parler, ce matin. Je t’ai esquissé hier une réponse rapidement sur le pas de la porte, mais je voudrais maintenant t’en dire un peu plus. En nous rappelant que nous ne comprendrons jamais tout de ce Mystère, qu’il échappera toujours à la somme de tous nos raisonnements.
Tu as raison, c’est du pain que nous allons déposer sur l’autel tout à l’heure. Cette nourriture toute ordinaire, basique, qui dit à la fois ce qui nous est donné par la terre (le blé, l’eau), et toute la solidarité du travail de ceux qui ont fait pousser le blé, fait la farine, transporté les ingrédients, pétri puis cuit la pâte. Ce pain dit notre quotidien. Dans ce pain, il y a nous. Et après la prière que je dirais, comme prêtre, au nom de nous tous, ce pain sera le Corps du Christ. Et tu as raison, si nous regardons de plus près, il restera chimiquement du pain.
Si nous voyons le Corps du Christ, nous ne voyons pas la viande, les muscles, les nerfs ou les vaisseaux sanguins de Jésus. Le corps est bien plus que la matière qui nous compose. Ton corps, c’est ce qui te permet d’être en relations, d’être au monde, de voir, d’écouter et de sentir, d’embrasser ou de gifler, il dit ton être, il est ta présence. Ainsi, reconnaître dans ce bout de pain le Corps du Christ, c’est reconnaître que le Christ se rend réellement présent là, en ce pain sur lequel nous avons prié et invoqué l’Esprit Saint. Comme on l’a entendu dans l’évangile, quand Jésus prend le pain et dit à ses disciples : « Ceci est mon corps », il sait qu’il va bientôt mourir, qu’il ne sera plus présent physiquement avec eux – et avec nous – dans le monde. Mais par ce pain consacré, il se rend présent à nous, partout et pour toujours.
Mais je vois ton œil se plisser, ton esprit réfléchir et poindre d’autres questions. Pourquoi se rendre présent avec quelque chose à manger ?
C’est vrai qu’il aurait pu se rendre présent avec quelque chose à regarder, ou à chanter, ou à gestuer, et qui serait devenu sacrement. Mais il se fait repas et nourriture. C’est très beau pour plusieurs raisons. Tu m’excuseras simplement d’être trop rapide, on pourrait y passer toute la journée.
C’est beau d’abord parce que sur notre chemin de vie chrétienne, comme sur notre chemin de vie humaine, si nous ne mangeons pas, nous perdons des forces, nous nous épuisons et nous mourons. Avec ce sacrement de l’eucharistie, nous pouvons reprendre des forces aussi souvent que nous le voulons pour vivre notre vie de disciples de Jésus.
Ensuite, parce qu’avec l’eucharistie, il nous invite à un repas. Nous nous retrouvons à plusieurs, plus ou moins nombreux (j’ai célébré des messes où nous étions 2, et la plus grande, nous étions 3 millions !), pour partager la table. C’est déjà une image du banquet éternel que nous vivons à chaque messe. Mais manger ensemble, c’est aussi faire l’expérience d’une fraternité, c’est partager, c’est vivre un repas de fête qui nous rapproche les uns les autres. Autrement dit, on ne vient pas à la messe pour manger dans son coin, individuellement. Ce repas change les relations entre nous, et fait de nous des frères et des sœurs, membres d’une même famille réunis autour d’une même table. Il nous met en « communion » les uns avec les autres : communier, c’est nourrir notre communion avec Dieu, et aussi notre communion avec tous les autres.
Ce qui est incroyable encore avec ce repas, c’est que Dieu fait de nous ce que nous recevons de lui. Ainsi, tu vas recevoir le Corps du Christ et tu vas te nourrir de lui, avec tous les autres ici dans cette église et en communion avec tous les autres partout dans le monde. Et Dieu va faire de nous le Corps du Christ. « Nous devenons ce que nous recevons », disait Saint Augustin. En se rendant présent dans ce bout de pain devenu son corps à manger, Dieu ne nous laisse pas extérieur à Lui. En l’incorporant dans notre corps, nous devenons Son Corps. Par ce bout de pain donné à manger, nous devenons le Corps du Christ. Nous devenons, ensemble, par le tissu de toutes nos relations et par notre manière de vivre ensemble, la présence réelle et visible de Jésus dans notre monde. La communion nous rend responsable du témoignage que nous portons autour de nous. Nous sommes le Corps du Christ, ce Corps, appelé aussi « l’Eglise », que les gens peuvent voir, entendre, écouter, suivre… Ce Corps invité à servir les femmes et les hommes d’aujourd’hui. N’oublie cette dimension tout à l’heure et après la messe et cet après-midi et toute cette semaine, quand, comme chacun de nous, tu retrouveras tes occupations quotidiennes.
Tout cela est un bien grand mystère, n’est-ce pas ? Et je vois tes yeux se plisser encore plus, en même temps que ta curiosité a toujours davantage faim de ce pain. Je commence à être un peu long, mais je voudrais te dire encore deux choses.
La première, tu l’auras comprise, c’est que la communion est le mouvement d’un don. Nous apportons notre vie avec le pain. Puis après la grande prière eucharistique, c’est Jésus qui se donne à toi, et à nous tous, pour que nourris de lui, nous nous donnions aux autres. La communion n’est pas un rite, une habitude, une règle, une coutume. C’est un mouvement de don d’amour que rien ne peut arrêter. Soit la bienvenue dans ce mouvement !
Enfin, et ça n’est pas le moins mystérieux, c’est toujours le même pain, qui devient le même corps, auquel nous communion. Dans le moindre morceau de pain consacré, c’est toujours Jésus tout entier qui est là et que l’on reçoit. Jésus se donne à l’infini depuis 2000 ans, à chaque fois que nous communion à ce bout de pain. Et nous voilà reliés les uns aux autres par-delà toutes les dimensions de l’espace et du temps. Aujourd’hui est simplement la première fois que tu goûtes à ce pain, mais déjà te voilà liée par les liens de l’amour à l’immensité des chrétiens du monde et de l’histoire, à qui Jésus s’est donné, aussi, tout entier.
Voilà. J’ai déjà été trop long, mais tu vois que ce mystère est intarissable. Il y aurait encore tellement d’autres dimensions à évoquer ! Quelqu’un a dit que si on comprenait ce mystère, c’est qu’on était mort. Je te souhaite, moi, d’en vivre, et de le découvrir de façon nouvelle à chaque fois.
Je te remercie pour ta question, qui nous a entrainés bien loin ! Et aussi pour ta démarche d’aujourd’hui, qui nous donne de vivre dans la joie ce don de Dieu aux hommes.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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