Homélie du 1er mai 2022, par le P. Benoît Lecomte

Barbezieux - Baignes - Barret

Publié le 1 mai 2022

Elle est inépuisable, cette page d’Evangile, et nous n’épuiserons pas ce matin sa richesse et sa densité. Je vous propose simplement de contempler ce qui m’en apparaît comme l’élément central : la relation entre Jésus et Simon-Pierre, ce Simon-Pierre que l’on trouve du début à la fin du récit. Une relation toute faite de pudeur, de respect, de distance et de proximité, de non-dits et d’évidences, de silences et de mots fragiles. Une relation faite de l’histoire qui a lié ces deux hommes depuis l’appel de Simon sur le bord du Lac de Tibériade 3 ans plus tôt, jusqu’au reniement au moment du procès. Une relation faite de fougue et de doutes, de tâtonnements et de grands élans, de confiance aussi. Beaucoup.

Ce soir là ils ne sont plus que 7 et à l’initiative de Simon devenu Pierre et redevenu Simon, ils vont pécher. Ils ont repris leur vie d’avant, mais on les sent, ou on peut les penser lourds de ce qu’ils ont vécu avec Jésus. Sûrement aussi encore sous le poids de l’incompréhension des apparitions du ressuscité… ce qui n’aura pas transformé leur vie. Retour à la case départ, ou presque, au détail près de cette parenthèse de la rencontre et de la suite de Jésus… Parenthèse incompréhensible. Ils s’étaient enflammés pour lui, le soufflé est retombé. Les voilà dans la barque, dans la nuit. Même les poissons ne se prennent plus dans leurs filets : il n’y aura rien à manger au petit matin. Désillusions des lendemains de fête.

Et puis il y a cette apparition sur le rivage, dans les premiers rayons de soleil. Celui qui se fait reconnaître sans dire son nom et qui s’adresse avec amour et tendresse : « Les enfants. » Etrange personnage pour qu’à sa voix ou à son expression, les pécheurs relancent à nouveau les filets. Etrange confiance en cet inconnu qui va manifester la vie là où il n’y avait plus que mort, tristesse et désespérance. Etrange initiative de Dieu, qui vient lui-même se manifester au milieu de ce qui ne marche plus, de ce qui ne fonctionne plus, de ce qui ne vit plus, et qui crée la surprise et la joie et la vie.

Etrange réponse de Simon-Pierre qui se passe un vêtement pour sauter à l’eau et rejoindre son Seigneur. Il n’en aura jamais fini de plonger et de replonger dans cette relation d’amour inconditionnel de Jésus pour lui. Il n’en aura jamais fini de découvrir avec quelle force et quelle tendresse Jésus ressuscité viendra le chercher encore et toujours, même au plus profond de sa détresse ou de sa tristesse, de sa stérilité et de son péché, de son éloignement ou de ses doutes. Ce plongeon, c’est celui que vous faites aujourd’hui, Maël et Alice, et que vous n’en finirez pas de faire, vous non plus, comme nous tous. Plongeon du baptême pour que notre vie, comme celle de Simon-Pierre, soit transformée.

Et le récit continue. L’invitation de Jésus est la plus simple qui soit : « Venez manger. » Venez vous restaurer, venez prendre un peu de repos, venez partager avec moi ce qui fait votre vie, vos douleurs et vos émerveillements. En cette invitation, en ce repas, nul n’est besoin de mots en trop. « Personne n’osait lui demander ‘Qui es-tu ?’ Ils savaient que c’était le Seigneur. » La parole est d’abord partage et relation, apprivoisement progressif de la présence de cet Autre si familier et si mystérieux.

Et puis il y a ce dialogue, tout en tendresse encore, entre Jésus et Simon-Pierre. Cette triple déclaration d’amour en écho au triple reniement, cette initiative de Jésus qui sait que tout doit venir de lui pour que Simon-Pierre puisse sortir de sa culpabilité et qu’il vive, pour qu’il puisse accéder à nouveau à la joie, à la paix et à l’amour. Echange inattendu et bouleversant pour Simon-Pierre, mais libérateur car relançant sa marche, sa confiance, son avenir. Jusqu’à la mission désormais confiée par le Ressuscité : « Sois le pasteur de mes brebis. »

Emouvante relation entre Jésus et Simon-Pierre, que nous recevons comme la figure de l’appel profond que Dieu veut vivre et vit avec chacun de nous et avec toute l’Eglise. Simon-Pierre, C’est Alice, c’est Maël, c’est toi, c’est moi. Et c’est l’Eglise toute entière. Avec nos élans et nos reniements, avec nos folies et nos désespoirs, avec notre façon de pleurer sur un passé révolu et notre joie de nous retrouver au repas que le Seigneur a préparé pour nous. Méditons cette page d’Evangile pour mieux comprendre notre condition de disciples, et de disciples rejoints, sauvés et envoyés par la force de Jésus ressuscité. Elle peut nous aider à relire notre relation avec Dieu, ou la relation de Dieu avec nous, tout au long de notre existence dans ses moments d’exultation et dans ses moments de stérilité apparente. Elle peut nous aider à comprendre les chemins que prend notre Eglise ou que nous prenons en Eglise pour aller de l’avant, non pas à partir des modèles d’hier, mais avec l’assurance et la confiance que le Christ nous rejoint toujours et ne cessera jamais de nous aimer, quoi que nous vivions. Plus encore, que cet amour du Christ est premier et fondamental à toute autre considération, que sa confiance en nous est primordiale et source de toute vie.  

Dans un monde pétri de crises et d’appels au secours – et le temps électoral que nous vivons en France en est encore une manifestation – soyons des Simon-Pierre qui, au cœur même des sinuosités de nos vies, se laissent rejoindre et réinterroger, re-aimer et re-envoyer par le Christ. Pour que des stérilités de notre monde et de nos vies, jaillisse l’émerveillement de la Lumière de Pâques, de la pêche étonnamment abondante, du partage fraternel du repas, de la simplicité des relations, de la confiance renouvelée.

Amen.

P. Benoît Lecomte

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